Mais seule l’affaire Seznec continue à agiter les passions. « Dans les salons du livre, je suis interpellée par des personnes de tous âges qui contestent les faits, défendent l’innocence de Seznec… C’est incroyable d’entendre encore cela ! L’opinion a été durablement manipulée », constate l’ancienne greffière.
Son dernier livre Tourmente sur la cour d’assises du Finistère a pour fil directeur la pression exercée par l’opinion publique sur la justice à travers quatre affaires : Seznec, Herriquet, Biollay et Kervarec. « Je ne pouvais pas faire l’impasse sur l’affaire Seznec car c’est un véritable cas d’école. »
Annick Le Douget a consulté grâce à une dérogation, toutes les archives judiciaires de cette affaire. Dans son ouvrage, elle commence par relater scrupuleusement les faits, rien que les faits. « Et ils sont édifiants ! »
Tout accuse Seznec qui a menti, réalisé une fausse promesse de vente, payé de faux témoignages. À l’époque du procès, la population ne doute pas de sa culpabilité. Il a eu un procès équitable.
Deux hommes à la manœuvre
Alors que s’est-il passé ? Deux hommes se sont saisis de cette affaire et ont retourné l’opinion publique. Le premier se nomme Charles-Victor Hervé. « Il a démissionné de la magistrature en 1930 après de nombreuses erreurs judiciaires, des arrestations arbitraires… Il était très instable mentalement et en voulait énormément à la magistrature », indique Annick Le Douget.
Le deuxième est Eugène Delahaye, directeur du journal d’extrême droite La Province. « Lui, il a encouragé Hervé à écrire dans son journal pour vendre du papier. » Annick Le Douget a étudié les 98 articles publiés dans La Province à partir de 1931.
Dans nombre d’entre eux, l’ex juge défendait « les faits de Plourivo » qui avançaient que Pierre Quéméneur aurait été tué dans sa propriété de Plourivo par son propre frère. « Hervé a répandu des rumeurs, manipulé les faits et les dates pour établir sa vérité. Les lecteurs ont cru ces affirmations qui émanaient d’un ancien magistrat. Comment pouvaient-ils vérifier ? », poursuit Annick Le Douget.
Les deux hommes se sont aussi lancés dans une série de meetings avec toujours les mêmes objectifs : convaincre le public de l’innocence de Seznec, de la corruption des policiers, de l’incompétence de la magistrature et de la nécessité d’un nouveau procès… « Il faut reconnaître que c’était un coup de génie : le public ne pouvait qu’adhérer. Il était matraqué pendant deux heures d’affirmations sans aucune contradiction possible. »
Les procès intentés contre l’ex juge et le journaliste ont mis un coup d’arrêt à cette campagne de presse. Mais l’opinion a été durablement retournée. Les 14 demandes de révision ont entretenu ce mythe de l’erreur judiciaire.
Réponse BV : La thèse d'Annick Le Douget consiste à affirmer que la défense de l'innocence de Seznec proviendrait d'une manipulation de l'opinion qui date des années 30. Elle aurait été opérée par un juge fou et un journal d'extrême droite, "La Province". En 2024, nous serions toujours sous l'emprise de cette manipulation de la bête immonde qui a perduré.
Cette thèse du complot d'extrême droite qui traverse les siècles est absurde et relève du fantasme aussi peu crédible que le "Da Vinci Code" et son Prieuré de Sion. Il est à noter que le livre de Michel Pierre "L'impossible innocence" est sorti en 2019 dans l'indifférence quasi générale sauf de la part de quelques blogs de militants et élus de la gauche un peu radicale probablement séduits par sa théorie du complot. La presse classique s'était tenue à l'écart jusqu'à cette campagne anti-Seznec de Ouest-France. Le réalisateur du documentaire diffusé par France 3 est un militant et élu Nupes/NFP. La production Aligal est engagée dans une certaine mouvance politique. Ce qui interroge sur la déontologie et l'impartialité de ce documentaire.
Pourtant, les procès du journaliste Privat, du juge Hervé et du journal "La Province" ne s'arrêtent pas uniquement à l'accusation diffamatoire du Notaire Pouliquen et de Louis Quéméneur. L'avocat Lamour va faire une plaidoirie remarquable de 77 pages. Il reprend en détail toute l'affaire Seznec et il pointe d'une manière approfondie, minutieuse et détaillée des incohérences du procès et du dossier d'instruction. Ni Annick Le Douget, ni Michel Pierre ne mentionnent ce document qu'ils ne semblent même pas connaitre. Nous deux historiens se sont tellement convaincus l'un l'autre qu'ils écartent toute pièce qui ne va pas dans leur
sens.
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