samedi 12 octobre 2024

Pourquoi Bruno Cotte ne restera pas dans l'histoire ?

Quand Michel Pierre avance que l'affaire Seznec est un petit meurtre de province, il ne prouve qu'une seule chose, c'est qu'il n'a strictement rien compris à l'affaire Seznec. Il connaît mal les faits, il n'a fait quasiment aucune recherche personnelle digne d'un historien et ses affirmations souvent non étayées relèvent de l'ingénuité. Par exemple, il nous assène qu'il n'y a jamais eu de trafic de Cadillac avec la Russie car ces derniers avaient besoin de tracteurs. L'agriculture soviétique avait besoin de tracteurs, c'est un fait. Et, alors ? Cette affirmation ne relève-t-elle pas du sophisme ?


En réalité, cette affaire est extrêmement complexe car il y a des tiroirs qui s'ouvrent sur d'autres tiroirs, avec de nombreux labyrinthes dans lesquels il est possible de se perdre. Si l'on ouvre aucun tiroir, cela revient à lire un livre sans l'ouvrir posé sur une étagère.

L'affaire Seznec est une affaire hors-norme et pour arriver à l'appréhender , il est nécessaire d'avoir un minimum d'ouverture d'esprit et ne pas rester figé sur des clichés et des affirmations péremptoires. Il faut connaître  un peu le droit, un peu l'histoire du XXe siècle en France, aux Etats-Unis et en Russie, un peu l'histoire de l'automobile. Il faut dépasser le stade académique et les généralités. Pour la Russie Soviétique, il faut comprendre les prises de décision au coeur du régime, qui fait quoi et comment est organisé le pouvoir dans les années 20. Il faut aussi maîtriser les langues étrangères, au moins l'anglais et se plonger dans les archives russes de la période soviétique. Certaines sont disponibles en ligne. Pour d'autres, il faut trouver un correspondant sur place. J'ai fait de nombreux déplacements aux Etats-Unis. Je ne me suis pas rendu moi-même à Vladivostok pour obtenir un document important.  Il faut aussi sentir une enquête, suivre des pistes qui parfois ne débouchent sur rien. Il faut aussi avoir du temps à consacrer et un peu d'argent.

Je ne vais pas faire une critique de chaque participant à l'émission qui sera diffusée sur France 3. Ce que je connais d'Olivier Talabardon est un article de presse ou il étalait quelques clichés sans intérêt. Je pense qu'Annick Le Douget est dans la même veine. Cela donne l'impression de la défense d'un corporatisme. Il y a toutefois une pointure qui est Bruno Cotte. Il a été président de la cour de révision de Seznec qui a rendu sa décision en 2006.  Je vais décortiquer quelques points de l'arrêt de la cour de cassation et démontrer que le travail de cette Cour et de son président n'ont pas été à la hauteur des enjeux. Certains de leurs arguments relèvent au mieux de la mauvaise foi.

En préambule, je dois aussi admettre que la demande de révision de 2006 était maladroite. Les avocats qui ont porté cette demande n'étaient pas, eux non plus à la hauteur de la tâche. Cela a facilité le travail de la Cour de cassation.

Concernant Bonny

Attendu que, les avocats de Denis Le Her-Seznec désignent ce fonctionnaire de police comme "l'agent essentiel de l'enquête" ; que, toutefois, l'examen des pièces de la procédure contredit une telle affirmation ; que, si Bonny, en sa qualité de secrétaire du commissaire Vidal, chargé notamment de la transcription, sous la dictée, des procès-verbaux d'audition, a été présent lors de la plupart des actes de procédure accomplis par son supérieur hiérarchique, son nom n'apparaît, dans le dossier de l'instruction préparatoire comprenant plus de 500 pièces cotées, que sur quatre procès-verbaux, dont trois établis par son chef, le commissaire Vidal, et un par le commissaire Doucet, ainsi que sur cinq rapports rédigés, signés et transmis par lui-même ;

La demande de révision associait Bonny à une machination policière qui avait pour finalité de protéger de hautes autorités de l'Etat qui auraient été impliquées dans un vaste trafic de Cadillac. Le problème est que les avocats n'apportaient pas la preuve de cette machination qui ne reposait que sur des spéculations. Il était donc assez facile de rejeter l'argumentation. Il aurait fallu présenter les choses sous un angle un peu différent.

Pour prouver que Bonny n'est pas un agent essentiel de l'enquête, Bruno Cotte énumère le nombre de pièces du dossier d'instruction dans lesquels l'inspecteur stagiaire est impliqué. Il indique qu'il y a 5 rapports rédigés, signés et transmis par lui-même. Il faut comprendre que dans le dossier, il y a de nombreuses pièces de procédure qui n'apportent rien sur le fond. Voici par exemple, une pièce de procédure ci-dessous de l'inspecteur Noury : 

 

L'inspecteur Noury rédige une courte note pour rendre compte qu'il a déposé les cinq scellés de l'affaire Quéméneur au service de M. Beyle contre reçu ci-joint de M. Cote, adjoint à ce service. Cette pièce est essentielle dans le cadre de la procédure judiciaire mais n'apporte pas d'éléments particuliers.

Pour démontrer que Bonny a été, ou pas, un agent essentiel de l'enquête, il faut examiner les pièces sur le fond et donc analyser ce que contiennent les "cinq rapports rédigés, signés et transmis par lui-même". Bruno Cotte ne fait aucun examen, aucune analyse. Il commet une bourde monumentale car un des rapports contredit son affirmation. Parmi ces cinq rapports, il y en a un qui contient le résultat d'une investigation faite par Bonny à la demande du commissaire Vidal. C'est le fameux rapport du 8 juillet 1923 dont j'ai déjà parlé précédemment :


Rapport Bonny de 6 feuillets du 8 juillet 1923

Ce rapport prouve qu'il n'y a eu aucune recherche sérieuse pour retrouver l'Américain du nom de Chardy, ni l'affaire des Cadillac. Aucune vérification n'a jamais été entreprise pour vérifier les éléments contenus dans le dossier. Pourtant, lors du procès Seznec, le procureur Guillot affirme que cette affaire de Cadillac sort de l'imagination de Seznec. Sur quoi se base cette affirmation ? Uniquement, sur le rapport Bonny qui n'a fait aucune recherche sérieuse. Bruno Cotte, reprend à son compte une affirmation qui est fausse.

Dans le cadre de mes recherches, j'ai été en mesure de retrouver cet Américain et j'ai démontré qu'il était bien l'Américain qui est décrit dans le dossier d'instruction. J'ai éliminé une possible coïncidence. Il y a cent fois plus de chances de tirer les numéros gagnants à l'Euromillions que d'imaginer que Seznec ait pu inventer une histoire contenant 27 paramètres qui s'avèrent exacts. Seznec avait une chance sur plusieurs dizaines ou centaines de milliards de tomber juste. A ce jour, personne n'a été capable de remettre en cause la solidité de la démonstration. Michel Pierre n'a même pas essayé, il n'a toujours pas compris le problème. D'autres ont essayé, en ne prenant que 2 ou 3 paramètres sur les 27.

Pour en revenir à Seznec, il est pris dans la nasse, incapable de se défendre car il ne comprend pas ce qu'il lui arrive. Il sait bien que cet Américain existe mais il n'arrive pas à le prouver. Son avocat Maître Khan, qui ne comprend pas, lui conseille d'oublier cette histoire. 

L'existence de l'Américain prouve qu'il y a bien eu un marché avec Quéméneur et qu'il n'y a jamais eu de fausses promesses de vente tout au plus Seznec ou une autre personne aurait retranscrit à la machine une promesse originelle bien signée par Quéméneur. 

 Attendu qu'enfin, contrairement à ce qui est soutenu, la lecture du livre de Jacques Bonny, "Mon père l'inspecteur Bonny", ne révèle pas que celui-ci ait reconnu avoir été l'artisan d'une machination policière ; qu'en effet, les passages auxquels se réfèrent les avocats de Denis Le Her-Seznec relatent les paroles d'un père se défendant au contraire d'une telle accusation ; que, de surcroît, si Pierre Bonny, selon les propos rapportés, se disait persuadé de l'innocence de Seznec, rien ne permet de savoir sur quels éléments il fondait sa conviction ; qu'enfin, rien n'établit que Bonny, quel qu'ait été son comportement à partir des années 1930, aurait, "dès les années 1924 et 1925, fabriqué de faux coupables et de faux témoins" ;

Que dit Bonny, page 41 du livre "Mon père l'inspecteur Bonny" ? : "Mon petit, les apparences aujourd'hui sont contre moi. Exactement comme elles le furent contre Seznec...Moi qui avais participé à l'enquête, j'étais certain qu'il avait tué le conseiller général Quéméneur. Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai eu la certitude pour ainsi dire formelle, que Seznec était innocent. Et pourtant, il est au bagne depuis plus de vingt ans et par ma faute, parce que je me suis trompé de bonne foi."

Bonny n'en dit pas plus sur la certitude que Seznec est innocent et sur les éléments qui le poussent à affirmer qu'il s'est trompé de bonne foi.

J'en ai trouvé deux possibles :

- Il n'a fait aucune recherche sérieuse pour retrouver l'américain.

- L'employé du bureau de poste Begué a modifié son témoignage entre la primo enquête de Pouliquen et son procès-verbal enregistré par Bonny.


Concernant l'affaire des Cadillac


Attendu que n'a jamais été contestée la possibilité d'un trafic portant sur des véhicules en provenance de l'armée des Etats-Unis d'Amérique, comme il peut s'en produire, à la fin des grands conflits armés, sur tous les matériels dont les belligérants n'ont plus l'usage ; qu'il est vrai que pouvaient constituer une présomption de participation à un commerce occulte les déclarations de Seznec, selon lesquelles le conseiller général, qui ne souhaitait pas apparaître, lui aurait demandé de recevoir à sa place les lettres de "Sherdly" ou "Chardy" ; que, toutefois, les recherches ultérieurement effectuées au domicile du disparu n'ont pas permis d'en retrouver trace et que le supplément d'information ordonné par la chambre des mises en accusation a établi que les enveloppes alors utilisées par la chambre de commerce américaine de Paris ne correspondaient pas à celles que Seznec avait dit avoir reçues pour le compte de Quéméneur ;


Le 29 Juin 1923, il y a eu une perquisition à Ker-Abri dans le bureau et la chambre à coucher de Pierre Quéméneur. L'objet de cette perquisition était de trouver toute pièce ou document en lien avec l'affaire. Le procès-verbal de transport note que des documents ont été saisis concernant :

1/ des tractations d'automobiles

2/ des projets de vente de la propriété de Traou-Nez

3/ des correspondances diverses, types de signature Quéméneur, des  photographies, un livret militaire

4/ comptes de Quéméneur à la Société Bretonne, carnets de chèques

5/ dossier De Jaegher

Parmi les documents saisis, il existe une correspondance de Quéméneur au concessionnaire Cadillac Station de Levallois. Il se met à chercher des Cadillac à partir du 9 mars 1923. Ce qui montre qu'il vient de rencontrer l'intermédiaire Américain.

 


Aucune recherche n'a été faite concernant les divers journaux, revues et magazines qui devaient inévitablement trainer dans le bureau de Quéméneur. Donc, aucune recherche n'a été faite en lien avec l'affirmation d'une petite annonce d'un journal.  A ce stade de l'enquête, on se demande pourquoi la police et la justice oublient de vérifier cette information. Il est difficilement compréhensible qu'un inventaire des journaux avec les petites annonces n'ait pas été effectué.


Attendu qu'en outre, il résulte du dossier d'instruction que Quéméneur avait informé de son projet ses proches et ses relations, dont Julien Legrand, ancien maire de Landerneau, de même que son banquier ; que ses démarches pour acquérir des véhicules se sont faites au grand jour, par des échanges de correspondances le désignant nommément, et que l'achat d'une Cadillac à Jean Le Verge a été conclu par un acte sous seing privé établi à son nom ;

En 1913, Pierre Quéméneur avait été très affecté par la campagne de presse diffamatoire et insultante d'une feuille de choux socialiste, "L'Eclaireur du Finistère". Cela explique pourquoi, il ne voulait pas que son nom apparaisse dans une transaction de véhicules vers la Russie Soviétique. Quéméneur espérait pouvoir se présenter à la députation. Il parle de cette affaire à un cercle restreint de ses amis, de sa famille ou de son banquier. Cela n'implique pas qu'il souhaite en faire publicité. Il n'apparaît pas dans le dossier que Le Verge ait été informé que sa Cadillac était destinée aux Bolchéviques.


 


 


 

 

 Attendu que, faute de démontrer la participation des protagonistes à un commerce clandestin et illégal, l'argumentation proposée, réduite à une critique du contenu du dossier d'information, est dépourvue de pertinence ; qu'au demeurant, les investigations accomplies par la commission de révision saisie en dernier lieu n'ont pas permis de trouver trace, dans les fonds d'archives ministérielles, d'un quelconque document relatif à un trafic d'automobiles étrangères, à l'époque précisément considérée ; qu'en revanche, il s'est effectué, au grand jour, notamment au Champ-de-Mars, jusqu'à la fermeture de ce "camp", le 23 février 1922, un commerce de véhicules et de pièces détachées d'automobiles, en provenance des stocks de l'armée américaine ;


On peut reprocher à Bruno Cotte son manque de perspicacité. Une affaire de vente de Cadillac vers la Russie des Soviets a peu de chance de laisser des traces dans les archives des ministères français. Par contre, qu'en est-il des archives du FBI, de l'OGPU ?



Extrait d'archives de sources US  : Télégramme en date du 20 mai 1923 expédié de Samara en Russie concernant une affaire de Cadillac qui n'a jamais existé. 


Document d'archives Russes en date du 15 mai 1923 concernant une affaire de Cadillac qui n'a jamais existé.


Bertrand Patenaude, historien chercheur à l'Université de Stanford en Californie, auteur du monumental ouvrage "Big show in Bololand" rapporte cette anecdote  page 587 : "Mr Eiduck met the proposal as if it were a criminal on trial before him, and as if he were a French court, which considers the accused guilty until proven innocent" [Eiduck est un agent de l'OGPU qui rend compte directement à Dzerjinski]. La justice française est comparée par un membre de l'A.R.A. aux méthodes criminelles d'un agent inculte de l'OGPU.

C'est une bonne définition de l'affaire Seznec. Seznec a été jugé coupable car il n'a pas su prouver son innocence. L'histoire retiendra une obstination dans l'erreur de la justice française. Avec les éléments qui ont été mis à jour depuis 2015 et le possible retour de Pierre Quéméneur à Morlaix, avec la découverte de l'Américain Sherdy qui n'est autre que le Colonel Turrou, avec la preuve que les Soviétiques achetaient bien des Cadillac, la justice devrait s'auto-saisir.  

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