(mise à jour de cet article suite à la lecture du pv seznec devant le juge d'instruction Campion du 1 er sept 1923)
Comme le souligne très justement Claudine Jourdan sur son blog, si l'on juxtapose les dépositions de Gabriel Saleun, du notaire Pouliquen et de Seznec, nous arrivons à la preuve que Seznec a bien remis l'équivalent de 4040 dollars or à Pierre Quéméneur le 22 mai entre 12h00 et 13h45.
Journée du 22 mai 1923
Le matin à Brest
10h00 : appel téléphonique de Quéméneur à son beau-frère Pouliquen pour lui demander de rembourser son prêt de 150 000 francs. Pouliquen répond qu'il n'a pas l'argent. Il peut avancer 50 000 francs pour quelques jours.
11h20 : Quéméneur voit son banquier, Gabriel Saleun. Il demande une avance de trésorerie de 100 000 francs.
vers 11h40 : Saleun retrouve Quéméneur au café des voyageurs pour lui notifier le refus de la banque. Quéméneur l'informe qu'il a trouvé 50 000 francs d'un parent.
Quéméneur propose de prendre les 4040 dollars or (soit environ 60 000 francs) de Seznec en échange de la vente de Plourivo.
13h45 : Quéméneur retourne voir son banquier pour l'informer qu'il a trouvé les fonds. Il n'a plus besoin de la banque. Il demande uniquement une avance de 10 000 Francs qui lui est accordée.
Dans l'après-midi, à Landerneau, Quéméneur écrit à Pouliquen pour lui demander 60 000 Francs.
Entre 11h40 et 13h45, Quéméneur a bien trouvé la somme d'environ 50 000 F qui lui manquait pour réaliser son affaire de Cadillac. La somme provient des dollars or de Seznec. A la fin de la journée du 22 mai, Quéméneur dispose de 60 000 F (Pouliquen) + 60 000 F (Seznec) + 10 000 F (banque) + 19 600 F de traites diverses au profit de Quéméneur.
La preuve directe est dans la juxtaposition des 4 procès-verbaux ci-dessous.
Déposition de Guillaume Seznec le 26 Juin 1923
Déposition de Jean Pouliquen le 27 juin 1923
Déposition de Gabriel Saleun, le 28 juin 1923
Déposition Seznec 1 septembre 1923
Déposition de Guillaume Seznec le 26 Juin 1923 par le commissaire Cunat
Déposition Seznec page 1
Déposition Seznec page 2 et 3
Déposition Seznec page 4
Déposition Seznec page 5
Déposition Seznec page 6
Déposition Seznec page 7
Déposition de Jean Pouliquen le 27 juin 1923 par le commissaire Vidal
Déposition Pouliquen page 1
Déposition de Gabriel Saleun, le 28 juin 1923
déposition Saleun page 1
Déposition Saleun pages 2 et 3
Déposition Seznec
Je me nomme Joseph Marie, dit "Guillaume" âgé de 45 ans, profession de négociant en bois, demeurant rue de Brest à Morlaix.
Depuis plus de trois ans, je connaissais très bien M. Quémeneur Pierre, Conseiller Général du canton de Sizun, qui demeurait à Landerneau. Il était devenu très intime chez moi et c'était réellement un très bon camarade. J'avais eu l'occasion de lui signaler souvent beaucoup d'affaires, il agissait de même à mon égard. Nous étions devenus très intimes. Le 25 octobre 1922, M. Quémeneur m'a fait une avance d'une somme de quinze mille francs pour me permettre de régler un différend avec un tiers ; pour garantie de cette somme avancée, je lui ai confié une voiture "Cadillac" qu'il a déposée dans le garage Jestin à Landerneau. J'avais acheté cette voiture vers 1919 ou 1920, à la liquidation des stocks américains à Brest pour 18.126 francs.
Courant avril 1923, sans pouvoir préciser la date, M. Quémeneur se trouvant un jour chez moi, m'a fait part qu'il avait reçu une lettre d'un américain, dont il m'a cité le nom " Scherdly" autant je peux me rappeler, demeurant à Paris, rue ou boulevard Malesherbes je crois, lettre par laquelle ce monsieur lui demandait de lui procurer des autos destinées au gouvernement russe. Il m'avait précisé ces offres en me disant : "Il y a de l'or à gagner en barres, il s'agit d'une affaire de voitures pour le ravitaillement de la Russie - Si vous voulez venir avec moi je suis en relations avec un Américain,- mais comme je suis Conseiller Général, je ne veux pas recevoir sa correspondance chez moi - tu recevras la correspondance ici et tu me l'enverras chez moi, ou je viendrai la prendre ici chez toi. Il s'agit de procurer cent voitures Cadillac, ou voitures U.S.A., qui seront payées : chaque Cadillac 30.000 francs et chaque camion U.S.A. 27.000 francs. Tu auras ton bénéfice selon ce que nous gagnerons.
Je lui ai fait la remarque que je ne pouvais pas disposer de capitaux, ce qu'il savait d'ailleurs.
Il m'a répondu : "Ne t'occupe pas de l'argent, ce n'est pas ce qui manquera."
Dans ces conditions, j'avais acquiescé à ces offres.
A aucun moment, je n'ai demandé à M. Quemeneur, dans quelles conditions il avait été mis en relation avec cet Américain.
M. Quémeneur m'avait dit qu'il allait écrire à l'Américain pour demander des précisions sur cette fourniture.
Par la suite, j'ai reçu deux lettres destinées à M. Quémeneur.
J'ai reçu la première une quinzaine de jours environ après la conversation que je viens de vous rapporter. J'ai téléphoné aussitôt pour prévenir M.Quémeneur ; comme il était absent, c'est sa sœur qui a reçu ma communication. Il est venu chercher cette lettre le lendemain et il m'a offert à déjeuner à l'hôtel Bozellec en face de la gare de Morlaix, avant le repas, il m'a fait connaître que cette lettre confirmait les conditions qu'il m'avait fait connaître dans notre entretien précédent, et qu'en outre, il fallait passer un contrat pour fournir cent véhicules, autos ou camions, et verser un cautionnement de dix mille francs qui serait remboursé après l'exécution de la fourniture qui serait effectuée par dix voitures à la fois, la première livraison devait avoir lieu le 2 juin. Le paiement de chaque livraison était fait au comptant.
J'ai reçu la seconde lettre quelques jours après. Je l'ai portée à M. Quémeneur à Landerneau. Après en avoir pris connaissance, il m'a dit que l'Américain demandait une remise en sous-main de 2000 francs par voiture Cadillac et de 1000 francs par camion pour lui faire avoir la fourniture et passer le contrat.
Je n'ai jamais su exactement quel était le consortium dont cet américain était le mandataire.
Les deux lettres reçues m'étaient adressées à mon nom ; je savais qu'elles étaient destinées à M. Quémeneur, parce qu'elles portaient un timbre de la "Chambre de Commerce américaine de Paris" ; je les lui avais remises sans les ouvrir comme il avait été convenu. Par la suite, j'ai appris que le Siège de cet établissement était rue Taitbout N°32 à Paris.
Le 22 mai dernier, à la suite d'une communication téléphonique de la veille ou de l'avant-veille avec M. Quémeneur, je me suis rendu à Landerneau par le train du matin. Comme M. Quémeneur avait rendez-vous à 10 heures ce jour-là à Brest, nous nous y sommes rendus avec son auto. Ce voyage me convenait parfaitement, parce qu'après avoir vu M. Quémeneur à Landerneau, je devais continuer sur Brest pour y échanger quatre mille quarante dollars en or, que je possédais depuis la guerre et que j'avais emportés avec moi. Cette somme était composée de 99 pièces de 20 dollars et 206 pièces de 10 dollars. Entre Landerneau et Brest, j'ai fait part à M. Quémeneur de mon intention d'aller les échanger. Il m'a fait la réflexion qu'il croyait que j'allais lui acheter avec ça une propriété dans les environs de Paimpol que ma femme et moi avions visitée auparavant. En arrivant à Brest, M. Quémeneur m'a dit ceci : "Ne change pas tes dollars avant de me revoir". Puis nous nous sommes séparés.
Lorsque je l'ai retrouvé à l'hôtel des voyageurs à midi moins vingt, pour prendre l'apéritif. M. Quémeneur m'a dit : " Eh bien ! C'est convenu, je prendrai tes dollars, je te ferai une promesse de vente de la propriété et tu me versera en plus une somme de trente-cinq mille francs le jour de l'entrée en jouissance."
Cette promesse de vente a été rédigée en deux exemplaires sur timbre et nous l'avons signée. Je possède une des expéditions. Aussitôt la promesse de vente réalisée, j'ai versé à M. Quémeneur les 4040 dollars.
Ensuite, nous nous sommes rendus, toujours en auto, à Lesneven chez M. Le Verge pour lui acheter une voiture " Cadillac" qu'il possédait. Après l'avoir essayée, une promesse de vente A été signée entre MM. Quémeneur et Le Verge, cette promesse comportait une clause d'option en faveur de M. Quémeneur. Le prix d'achat était de 12.000 francs.
Nous nous sommes rendus à Landerneau.
Au cours de notre retour de Lesneven à Landerneau, il a été convenu avec M. Quémeneur que le lendemain 23 mai, je retournerais à Landerneau pour prendre ma voiture au garage Jestin pour l'amener chez moi afin de voir s'il y avait quelque chose qui clochait. Et le lendemain 24, je devais rejoindre Rennes avec ma voiture où M. Quémeneur se rendait par le train, puis de là nous devions aller à Paris en auto, pour y livrer une voiture qui devait faire partie des premières livraisons. Elle devait être vendu 30.000 francs, somme de laquelle il faisait déduire les 20.000 francs de commission pour l'intermédiaire M. Sherdly et les frais de voyage.
C'est dans ces conditions que le voyage à Paris à été décidé entre moi et M. Quémeneur.
Le mardi vingt-trois mai, je me suis rendu à Landerneau par le train de 12 h 59. M. Quémeneur qui m'attendait à l'arrivée du train m'a accompagné au garage Jestin. Après avoir sorti la voiture, M. Quémeneur m'a emmené à la régie pour prendre un passe-debout, j'ai signé sur un registre et payé dix centimes pour le timbre.
J'ai mis à la craie le numéro d'immatriculation 3579.L.4, qui était celui d'une autre voiture " Cizaire et Naudin" que je possédais alors et que j'ai vendue à un Mr..... De Kerhuon un des premiers jours de Juin.
Je suis revenu à Morlaix avec ma voiture. En cours de route, j'ai eu une crevaison de chambre à air que j'ai changée à Landivisiau chez Lagadec, ce qui m'a coûté 45 francs pour la chambre à air et 10 francs de main d'œuvre.
Le Jeudi 24 mai, après avoir vérifié soigneusement ma voiture, je suis parti de chez moi à dix heures et demi pour Rennes ; avant mon départ , j'avais télégraphié à M. Quémeneur, à l'hôtel parisien à Rennes pour l'aviser de mon départ. Il s'était rendu de Landerneau à Rennes par le train, parce qu'il avait affaires à Rennes m'avait-il dit avant de gagner Paris.
Je suis arrivé à Rennes à dix-neuf heures et demie, après avoir eu des déboires en cours de route à cause des chambres à ait qui étaient desséchées.
J'ai retrouvé M. Quémeneur à l'hôtel Parisien où il avait retenu nos chambres. Dans le courant de l'après-midi, vers 16 h 1/2, il avait téléphoné à ma femme pour demander si j'étais parti.
Nous avons dîné ensemble.
Après le repas, nous sommes allés tous deux à la poste centrale, où M. Quémeneur à envoyé un télégramme à son beau-frère M. Pouliquen notaire à Pont-l'Abbé, lui demandant de lui adresser un chèque de soixante mille francs par lettre recommandée au titre de la Société Générale. A ce moment, je n'ai pas su à quelle adresse, il avait demandé l'envoi du chèque à Paris. Mais après la disparition de M. Quémeneur M. Pouliquen est venu chez moi le dimanche 10 juin, je crois, et il m'a appris que la lettre recommandée contenant le chèque avait été adressée à son beau-frère à Paris, poste restante N°3.
Ici le témoin rectifié ce qui précède comme il suit : Je n'ai pas su quel était le montant du chèque demandé au moment où M. Quémeneur à télégraphié à son beau-frère, je ne l'ai su également que par ce dernier le 10 juin.
Après l'envoi du télégramme, nous sommes allés prendre une consommation dans un petit café concert, près de l'hôtel Parisien, où nous sommes restés pendant environ une heure, puis nous sommes rentrés à l'hôtel pour nous coucher.
Nous en sommes partis le lendemain vers cinq heures et demie.
Nous nous sommes arrêtés à Ernée où nous avons pris un petit déjeuner dans un hôtel en bordure de la route de Mayenne, à la sortie du bourg.
Jusqu'à Ernée, j'avais tenu le volant. A partir de cette localité, c'est M.Quémeneur qui a conduit.
Avant d'arriver à Mayenne, le moteur s'est mis à cogner, nous avons modéré l'allure pour éviter des dégâts.
A Mortagne, nous avons cherché à nous procurer des ampoules électriques pour le cas où nous serions ennuyés mais nous n'avons pu nous en procurer du modèle qui convenait.
A Dreux, où nous sommes arrivés vers seize heures nous avons eu une panne au centre de la ville. M. Hodey mécanicien à fait la réparation sur place. Nous avons ensuite passé au garage pour gonfler les pneus. Et nous avons continué sur Paris.
Mais après avoir parcouru quelques kilomètres, six où sept peut-être, nous nous sommes rendus compte que la voiture ne pouvait pas continuer. Comme M. Quémeneur avait rendez-vous le lendemain matin à huit heures à Paris, rue où avenue du Maine, avec le nommé Sherdly, nous avons fait demi tour et nous sommes revenus à la gare de Dreux. M. Quémeneur qui tenait toujours le volant, a touché avec le garde-boue arrière droite, la barrière de la cour de la gare aux marchandises. Il nous a conduits devant la gare des voyageurs, où il est descendu de voiture pour entrer directement dans la gare. Au moment de me quitter il m'a dit : Si tu vois que la voiture est réparable, tu pourras continuer sur Paris. - Si tu vois le contraire, retourne à Morlaix et fais la réparer par ton mécanicien". Sur ce il m'a quitté en me disant encore : Je descendrai à l'hôtel de Normandie- c'est en face de Gare de Montparnasse - c'est-à-dire en face de la gare Saint Lazare - Si on a besoin de toi je télégraphierai."
Il a pénétré dans la gare et je ne l'ai plus revu.
Il commençait à faire nuit. Il pouvait être dix heures et demie.
S.I. Nous avions dîné à notre retour à Dreux dans un hôtel pas loin de la gare, si j'étais sur les lieux je pourrais reconnaître cet hôtel. Nous avions laissé l'auto dans une descente à environ cinq cents mètres de l'hôtel - rectifiant sur observations : j'exagère peut-être, il y avait peut-être deux cents mètres. Je ne peux plus préciser. J'étais tellement énervé à ce moment-là....
En quittant l'auto pour aller dîner, M. Quémeneur a pris sa valise.
Il était environ vingt-une heures lorsque nous avons dîné.
Après notre repas, nous nous sommes rendus à la gare où Quémeneur m'a quitté.
S.I. Il faisait encore jour lorsque nous sommes arrivés à l'hôtel pour dîner. Le repas a duré environ une demie heure. Après le repas, il commençait à faire nuit. M. Quémeneur était détenteur d'un indicateur, mais je ne l'ai pas vu le consulter, je ne l'ai pas vu sortir d'indicateur ; J'ai eu une panne vers 13 heures. Je n'ai pu reprendre ma route que vers 18 heures. J'ai continué sur Morlaix où je suis arrivé vers 2 ou 3 heures du matin le lundi 28 mai, après avoir eu de nombreuses pannes en cours de route.
Je suis retourné à Paris le 31 mai au soir par le train qui passe à Morlaix à 21 h 25. Je suis arrivé à Paris le 1er juin vers 7 heures. A Paris, je suis allé trouver un avocat Me Gautier, rue Vivienne, n° 51, pour un différend avec un avoué.
Je me suis rendu dans la soirée vers dix-sept heures, à l'hôtel de Normandie. J'ai demandé à la caissière si on n'avait pas vu un sieur Quémeneur, on m’a répondu qu'on ne le connaissait pas. Je me suis retiré sans faire aucune objection. Je n'ai rien dit.
S.I. Je n'ai rien dit du tout, rien.
A 18 heures, je suis retourné voir Me Gautier. Puis je suis revenu à la gare prendre mon train. J'ai mangé dans le train.
S.I. En arrivant à Paris, je ne suis pas allé à l'hôtel de Normandie pour demander après M. Quémeneur. J'avais d'abord pensé à faire mes commissions.
S.I. Jusqu'à la date du 1er juin, je ne m'étais pas inquiété du tout de M. Quémeneur.
S.I. C'est Mademoiselle Quémeneur qui est venu me trouver le samedi neuf juin pour me demander des nouvelles de son frère.
S.I. M. Pouliquen est venu huit jours après Mademoiselle Quémeneur.
S.I. Je ne peux affirmer la date à laquelle Mademoiselle Quémeneur est venue. En disant tout à l'heure que c'était le samedi 9 juin, j'ai fait erreur ; mais je ne peux me rappeler la date de cette visite.
S.I. J'ai reçu la visite de M. Pouliquen et du frère de M. Quémeneur avec lesquels je suis allé à Rennes, le dimanche 10 juin trouver la brigade mobile. Nous sommes revenus le lundi 11 juin. Je suis descendu à Saint-Brieuc M. Pouliquen à continué son voyage. Je suis rentré à Morlaix à midi 1/2.
Depuis j'ai fait différents déplacements à Brest ou à Saint-Brieuc mais jamais je n'ai découché.
Je ne suis jamais retourné à Paris.
S.I. Je ne connais pas Sherdly, je ne l'ai jamais vu. Je n'ai jamais reçu de correspondances de lui à part les deux lettres que j'ai remises à M. Quémeneur, et je n'en possède aucune.
S.I. Je connais Ackerman depuis 1918 où 1919. J'ai fait sa connaissance à Brest. Vers cette époque, il est venu une fois chez moi avec sa femme que je connais. Je suis allé une fois chez eux, il y a environ un an.
Le comparant nous remet volontairement trois feuilles de correspondance dont deux feuilles d'une lettre en date du cinq juin 1923 à lui adressée par le dit Ackerman et une feuille de correspondance adressée à ce même Ackerman émanant du journal "Les Indiscrétions Sportives" 35 rue de Berne, Paris (8e).
Nous annexons ces 3 feuilles suivant notre scellé n°1 après les avoir paraphées "ne varietur" avec le Sieur Seznec.
S.I. Je n'ai reçu du Sieur Ackerman que la lettre du 5 juin 1923 que je viens de vous remettre et un télégramme que j'ai remis à M. Pouliquen. Ce télégramme était une réponse à un télégramme avec réponse payée que j'avais adressé à Ackerman en lui demandant si Quémeneur s'était présenté chez lui. La réponse disait : "Je n'ai vu personne".
S.I. Quémeneur ne connaissait pas Ackerman. C'est moi qui lui avais donné une carte pour se présenter chez lui. Seulement j'avais mis par mégarde une fausse adresse en mettant "54" au lieu de "16", rue de l'Asile Popincourt.
S.I. Je ne savais pas ce que M. Quémeneur pouvait avoir sur lui comme argent pour notre voyage à Paris.
Déposition Pouliquen
Voici quelques précisions qui pourront être d'une certaine utilité pour l'enquête en cours :
J'ai passé les fêtes de Pentecôte, c'est-à-dire les 20 et 21 mai derniers en compagnie de mon beau-frère Quémeneur Pierre. Le lundi soir alors que nous étions à table à Landerneau, Mr Seznec a téléphoné à mon beau-frère. Après la communication, celui-ci m'a fait connaître qu'il venait de prendre rendez-vous avec Mr Seznec pour le lendemain à Brest. A ce moment-là, j'ai recommandé à mon beau-frère d'être très circonspect dans les affaires qu'il se proposait de traiter avec Seznec.
Le lendemain, Mardi 22 mai, vers 10 heures du matin, mon beau-frère m'a téléphoné de Brest pour m'annoncer que M. Seznec venait de lui proposer une affaire très intéressante et qu'il lui fallait immédiatement environ cent cinquante mille francs. J'ai répondu à mon beau-frère que je ne pouvais lui avancer la totalité de cette somme, mais que je pouvais mettre à sa disposition environ cinquante mille francs. Du reste, le même jour, mon beau-frère m'a confirmé sa demande par une lettre que je vous remets (M. Pouliquen dépose entre nos mains, pour être annexée au présent une lettre datée de Landerneau le 22 mai 1923 et signée Pierre.)
Annexes cette lettre au présent après l'avoir paraphée ne varietur.
Par cette lettre, mon beau-frère me priait de lui faire parvenir un chèque barré de de soixante mille francs payable à la Banque de France.
Deux jours après, le 24 mai, mon beau-frère me télégraphiait de Rennes dans le but de me faire modifier mon envoi et d'établir mon chèque sur la Société Générale. D'après ce télégramme, je devais lui adresser le dit chèque Poste Restante N°3 à Paris.
(M. Pouliquen nous remet ce télégramme que nous avons annexé au présent après l'avoir paraphé ne varietur)
Au bout de sept à huit jours, n'ayant pas reçu d'accusé de réception de mon chèque, j'ai télégraphié à la Société Générale de Paris qui m'a répondu qu'il n'avait pas été présenté.
J'ai alors télégraphié à M. Le Receveur du bureau de Poste N°3, boulevard Malesherbes à Paris pour lui demander si mon chargement avait été réclamé par le destinataire. Il m'a été répondu que mon chargement était toujours en instance Poste restante.
Vraiment inquiet de ne pas recevoir des nouvelles de mon beau-frère, je suis allé trouver M. Seznec à Morlaix.
M. Seznec m'a fait connaître qu'il avait pris rendez-vous avec mon beau-frère avec qui il s'était rencontré le 24 mai à Rennes. Ils auraient passé la nuit à l'hôtel parisien. M. Seznec pilotait une voiture "Cadillac" avec laquelle ils devaient se rendre à Paris.
Toujours d'après M. Seznec, ils seraient partis le lendemain vendredi 25 mai à cinq heures du matin pour Paris. Par suite de panne et crevaisons nombreuses, ils ne seraient arrivés à Dreux que vers quatre ou cinq heures de l'après-midi.
Après avoir réparé la voiture au garage Hodey, 33, rue d'Orfeuil à Dreux, ils auraient de nouveau repris la direction de Paris, mais de nouvelles pannes les auraient obligés à rebrousser chemin sur Dreux où ils seraient arrivés à la tombée de la nuit vers huit heures du soir.
A ce moment, mon beau-frère aurait quitté M. Seznec pour prendre le train à destination de Paris.
M. Seznec m'a déclaré s'être séparé de mon beau-frère, le vendredi 25 mai, vers neuf heures du soir devant la gare de Dreux. Toujours d'après M. Seznec, mon beau-frère devait se rencontrer le lendemain matin vers huit heures trente à Paris avec un américain du nom de Chardy ou Cherdy, dans une brasserie de l'Avenue du Maine, en face de la gare Montparnasse. Au cours de notre entretien, M. Seznec m'a fait connaître qu'il avait reçu des lettres de cet américain mais qu'il les avait remises aussitôt à mon beau-frère, à qui en réalité elles étaient destinées.
Comme je faisais remarquer à M. Seznec le peu de confiance que m'inspiraient ces relations avec cet américain, il m'a répondu : "Que voulez-vous ces lettres étaient tellement bien écrites et présentées de telle façon que tout le monde pouvait s'y laisser prendre."
Il est donc établi, de l'aveu même de M. Seznec, que ce dernier prenait connaissance de la correspondance adressée par l'américain Cherdy ou Cherdly à mon beau-frère.
M. Seznec m'a dit en outre qu'au moment de se séparer de mon beau-frère, ce dernier lui avait déclaré : "Tâche de réparer et viens me rejoindre à Paris ; dans le cas contraire, retourne à Morlaix où ton mécanicien pourra mettre la voiture en état. A Paris, tu n'auras qu'à me demander à l'Hôtel de Normandie à côté de la gare Saint Lazare."
M. Seznec m'a dit être venu à Paris pour demander mon beau-frère à l'Hôtel de Normandie. On lui aurait répondu que M. Quémeneur était inconnu.
Je m'étonne que M. Seznec qui devait traiter une affaire avec mon beau-frère, ne se soit pas davantage inquieté de son silence. Il n'a fait aucune démarche auprès de nous. Lorsque je suis allé le voir, il avait l'air complètement rassénéré et ne partageait nullement mon angoisse.
Pas plus au moment de ma visite à M. Seznec qu'après, ce dernier ne m'a fait part qu'il avait une promesse de vente d'une propriété appartenant à mon beau-frère. Je dois cependant à la vérité de dire qu'il y a environ trois mois, mon beau-frère m'a dit que M. Seznec lui achèterait peut-être sa propriété de "Plourivo".
En ce qui concerne le prix de cette propriété, mon beau-frère qui m'avait demandé de la vendre en exigeait comme tout dernier prix cent quarante mille francs. Du reste, il y avait preneur à cent vingt mille.
Il est de notoriété publique que la situation financière de M. Seznec est très obérée.
Par ailleurs, mon beau-frère a prêté quinze mille francs à M. Seznec. Je possède le reçu de ce prêt que je verserais à l'instruction.
En garantie, M. Seznec avait déposé une automobile marque "Cadillac" qui devait devenir la propriété de mon beau-frère, le 22 décembre 1922, en cas de non remboursement de la somme prêtée.
J'ai fait l'expédition du chèque, M. Quémeneur, Poste Restante N°3, Boulevard Malesherbes à Paris le 25 mai dans la soirée. Cet envoi a eu lieu sous pli chargé valeur déclarée : dix mille francs. Je n'avais pas barré le chèque pour permettre à mon beau-frère de le toucher plus facilement.
Je dois faire remarquer que la veille de son départ pour Brest où il devait rencontrer M. Seznec mon beau-frère ne m'a nullement fait allusion à son projet de vente de propriété. Ceci est important car mon beau-frère avait une grande confiance en moi et n'aurait pas traité une semblable affaire sans me consulter.
Encore un détail qui me paraît avoir son importance : le 21 mai, c'est-à-dire la veille de son rendez-vous, mon beau-frère ne m'a exprimé aucun besoin d'argent et ne m'a même pas fait prévoir qu'il pouvait en avoir besoin. Je m'étonne donc que le lendemain, il m'ait adressé une pareille demande. C'est donc à Brest que la proposition de l'affaire lui a été faite.
Déposition Saleun
Je me nomme Saleun Gabriel, âgé de 50 ans, fondé de pouvoir à la Société Bretonne de Crédits et de Dépôts, demeurant rue du Château, n°21 à Brest.
Je connaissais depuis de nombreuses années M. Quémeneur, Conseiller général.
Le mardi 22 mai dernier, vers onze heures vingt, il s'est présenté au Siège de la Société Bretonne et il m'a demandé à avoir avec moi un entretien particulier, que je lui ai accordé.
Invité à lui faire connaître l'objet de sa démarche, il m'a dit :
"Je voudrais que la Société Bretonne puisse me consentir, pour quelques jours seulement, un découvert de Cent mille francs."
Je lui ai demandé à me faire connaître l'emploi de ces fonds. Il m'a répondu :
"C'est pour traiter un marché de voitures automobiles américaines, camions ou autres, peu importe l'état, pourvu qu'elles puissent rouler d'un garage à un autre.
Je l'ai alors invité à me donner toutes précisions relativement à ce marché et voici donc ce qu'il m'a dit :
" J'ai découvert cette affaire par des annonces de journaux et me suis mis en relation avec un ami de Paris qui occupe certainement une bonne situation en Amérique, il m'a montré des papiers qui donnent toute sécurité. J'ai autant confiance en lui qu'en moi.
Je dois acheter au comptant ces voitures pour les rassembler dans un garage, pour les livrer ensuite dans un autre garage par séries de dix où elles me sont payées immédiatement. Ces transactions doivent rapporter deux, peut-être même trois fois le montant versé."
Voulant connaître la destination qui serait donnée à ces véhicules, il m'a répondu que les autos étaient destinées au gouvernement russe. Et il a ajouté :
"Je pense faire deux ou trois marchés semblables et puis après, je passerai l'affaire à qui voudra."
J'avais cherché à le dissuader d'une entreprise qui me semblait louche. Comme il persistait dans sa conviction, je lui ai dit que j'en parlerais à mon Directeur, mais qu'il n'avait aucune chance d'être écouté.
Après son départ, j'ai fait de la démarche à mon directeur qui a estimé qu'on ne pouvait accueillir pareille demande.
Une demi-heure après la conversation, j'ai rejoint M. Quémeneur au Café des Voyageurs pour le prévenir que nous ne pouvions pas donner suite à la demande.Il était attablé dans le Café où il y avait d'autres clients, j'ignore s'il était en compagnie de quelqu'un ; en m'apercevoir, il s'est levé, il est venu vers moi et nous nous sommes attablés à part.
Il m'a dit spontanément que, s'étant aperçu qu'il n'avait aucune chance d'obtenir satisfaction à la Société Bretonne, il venait de téléphoner à un parent, sans me faire connaître lequel, et qu'il était déjà assuré d'avoir plus de cinquante mille francs et qu'il arriverait donc à trouver la somme suffisante qu'il cherchait pour conclure son affaire.
Je l'ai quitté pour rentrer chez moi.
A treize heures 45, M. Quémeneur est revenu à la Société Bretonne ; il m'a informé devant le Directeur qu'il avait les fonds suffisants et que pour le moment il ne demandait qu'une avance de dix mille francs qui lui a été versée sur l'ordre du Directeur.
Pour nous convaincre de sa bonne foi et de la sincérité de son entreprise, il m'a proposé de l'accompagner à Paris, en disant que si la banque avait voulu lui consentir cette avance de Cent mille francs, je la conserverais par-devers moi, que je la verserais en prenant les voitures et qu'egalement je recevrais seul le montant de la vente au moment de la cession. Il m'a offert de le régler tous les frais de déplacement : voyage, hôtel et même de me donner une commission, s'il y avait lieu.
Notre mutisme (M. Le Directeur et moi) lui ont fait comprendre que nous ne pouvions prendre ses dires en considération. Il s'est retiré.
Depuis, je n'ai plus vu M. Quémeneur, ni entendu parler de lui, jusqu'au jour où la presse a signalé sa disparition.
S.I. Lorsque j'ai rejoint M. Quémeneur au Café des Voyageurs, je n'y ai pas vu M. Seznec que je connais parfaitement ; d'ailleurs, si ce dernier s'y était trouvé, il serait venu spontanément vers moi, car il me connaît très bien. J'ai stationné à peine cinq où six minutes dans ce Café.
S.I. A aucun moment M. Quémeneur ne m'a causé de dollars or, soit pour s'informer pour les échanger, soit pour tout autre motif.
S.I. Il ne m'a pas fait part qu'il avait passé, ou qu'il devait passer un acte de vente d'une propriété, soit avec M. Seznec, soit avec toute autre personne.
S.I. A aucun moment, M. Quémeneur ne m'a fait part des personnes qui devaient l'accompagner à Paris, où il comptait se rendre le surlendemain jeudi 24 mai. Notamment, il ne m'a pas parlé du tout de Seznec.
J'ignore quels étaient les rapports qui pouvaient exister entre eux.
Je ne peux vous donner d'autres renseignements.
Déposition Seznec 1 septembre 1923
Déposition Seznec 1 septembre 1923 (Archives du Finistère)
"L'inculpé spontanément : C'est parce que j'ai donné ces dollars à Quémeneur que celui-ci n'a pas continué avec la Société Bretonne à Brest les pourparlers d'emprunt qu'il avait engagés avec cette société dès notre arrivée. Il avait dit qu'il allait dans la matinée demandé 100.000 francs, mais comme nous étions d'accord à 11 h 45 pour la propriété de Plourivo que je devais lui laisser mes dollars, il se décida à ne demander que 10.000 francs.
M. Salain, représentant de la Société Bretonne est venu quelques minutes avant midi et à causé à M. Quémeneur mais je n'ai pas entendu la conversation. Ils étaient placés à une autre table."
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