vendredi 12 mai 2023

Ouest-France du 12 Mai 2023 Affaire Seznec : retour sur une affaire pleine de rebondissements... et surtout d'égarements

 

 Ouest-France du 12 mai 2023 article de Pierrick BAUDAIS

Un article signé Pierrick Baudais est paru dans l'Ouest-France du 12 mai 2023. Il reprend les grandes lignes de l'affaire Seznec, puis dans un deuxième temps, il présente un échange entre Michel Pierre, historien, auteur d'un livre sur l'affaire Seznec et un arrière-petit-neveu de pierre Quéméneur, Olivier Talabardon. L'échange reconstitué est déséquilibré puisque les deux intervenants croient en la culpabilité de Guillaume Seznec.

Michel Pierre reprend l'argumentaire de la justice qui affirme que Guillaume Seznec a tué Pierre Quéméneur car il aurait fait des fausses promesses de vente. Bien qu'il existe une autre explication plus convaincante concernant ces documents, cela ne prouve toujours pas que Guillaume Seznec a tué. Il n'est pas possible de condamner quelqu'un pour un crime sans apporter des preuves. Jusqu'à aujourd'hui, il n'existe qu'une construction intellectuelle hasardeuse faite par un procureur en 1924.

De plus, dans l'article, Michel Pierre reprend les affirmations de la justice dont il n'arrive pas à démontrer la véracité, par exemple, il nous assène que : "Dès qu'il y a eu un doute, Michel Campion a ordonné des investigations. Toutes les déclarations de Seznec ont été vérifiées". Cette affirmation est inexacte. J'ai eu un échange assez décevant avec Michel Pierre incapable d'apporter le moindre élément aux documents que je lui ai soumis. La vérité historique et prouvée est qu'aucune vérification n'a été entreprise concernant des éléments essentiels du dossier essentiellement à décharge comme les affirmations de Guillaume Seznec sur cette affaire de Cadillac. Aucune recherche n'a jamais été entreprise pour retrouver l'intermédiaire américain. La justice a décidé arbitrairement que c'était une invention de Seznec. Ce point n'est plus sujet à débat depuis qu'un rapport du 25 mai 1923 signé par Bonny a été retrouvé. Ce rapport, très gênant, a été retiré du dossier d'instruction. Je m'en suis procuré un exemplaire. J'apporte tous les détails dans mon livre : "Affaire Seznec : les archives du FBI ont parlé".

Toujours concernant l'inspecteur stagiaire Bonny, Michel Pierre affirme qu'il a eu un rôle très limité. Cette affirmation ne repose sur rien. Nous ne savons pas exactement son influence sur l'enquête. Comme vu précédemment, Bonny n'a pas retrouvé l'américain au nom approximatif de Sherdly car il ne l'a pas cherché. Pourtant, il existait des pistes à suivre obligatoirement. Il est aussi établi qu'il a un "peu" subordonné le témoin Bègue pour qu'il change la date où Pierre Quéméneur se serait présenté au bureau de poste le lendemain de sa disparition. Ce point innocentait définitivement Seznec. Cela expliquerait pourquoi, la veille d'être fusillé, Bonny a déclaré : "J'étais certain que Seznec avait tué...puis j'ai eu la certitude pour ainsi dire formelle qu'il était innocent... Je me suis trompé de bonne foi..."

Michel Pierre s'appuie sur des erreurs ou approximations de Denis Le Her Seznec pour déclarer que Guillaume Seznec est coupable. Mais, lui-même n'hésite pas à recourir à des raccourcis scabreux, des approximations et des erreurs inacceptables pour un historien. Je me suis aperçu que son analyse de la Russie Soviétique des années 20, avec les tracteurs et la NEP  ne dépassait pas un niveau scolaire et wikipédiatesque. Il connaissait l'accord commercial anglo-russe de 1920 et il avait entendu parler d'Armand Hammer. C'est très bien mais quel est le rapport ? La subtilité et la complexité des rapports entre Russes et Américains au début des années 20 semblent lui échapper. Pour comprendre cette affaire de Cadillac vers la Russie des Soviets, il faut se plonger dans l'histoire de l'A.R.A. entre 1921-1923 (American Relief Administration). Et qui étaient à la tête du "Russian Soviet Government Bureau" à New York entre 1919 et 1921 et que sont-ils devenus ?

Le dossier d'instruction regorge de détails très précis sur une affaire de Cadillac vers la Russie des Soviets. Avant de prendre pour argent comptant les déclarations péremptoire du procureur général Guillot en 1924, faut-il faire des recherches. En 2023, je suis le seul à avoir fait des investigations sérieuses en fouillant dans la documentation et les archives Américaines et Russes. A ma connaissance, dans le monde francophone, le seul chercheur sérieux sur cette époque est Nicolas Werth notamment avec un texte important sur l'organisation de l'OGPU de Dzerjinski en 1924 ainsi que la publication de nombreux ouvrages. Le russe est sa langue maternelle. En lisant ses ouvrages, je retrouve des connaissances comme Alexandre Eiduk ou Karl Lander.

J'ai écrit sur ce blog un article sur les insuffisances du travail d'historien de Michel Pierre et ses méthodes approximatives et peu scientifiques :

https://www.affaire-seznec.com/2023/04/laffaire-de-cadillac-vue-par-michel.html

Ensuite, Olivier Talabardon, magistrat à la cour de Cassation, est un descendant très éloigné de Pierre Quéméneur (son grand-père était un neveu). Il ne dispose d'aucun souvenir particulier sur l'affaire si ce n'est de faire partager ses quelques lectures. Il nous apprend que : "la seule inconnue, c'est la façon dont Pierre Quéméneur a été tué et l'endroit où Guillaume Seznec a fait disparaître le corps". Pourtant, la police a mobilisé des forces considérables en faisant des recherches pendant des semaines sans trouver le moindre indice. Ne serait-ce pas un peu contradictoire avec l'affirmation que la police et la justice ont bien fait leur travail ? Ensuite, il affirme que Pierre Quéméneur n'a pu prendre le train à Houdan car le dernier était passé depuis plus d'une heure. Devons-nous en déduire que le service ferroviaire est interrompu définitivement dans la soirée du 25 mai 1923 jusqu'à une période indéterminée ? Enfin, il nous partage un point surprenant qui est que "la préméditation n’a pas été retenue, au bénéfice du doute sur ce point". Nous pouvons aussi affirmer que la préméditation n'a pas été retenue car la construction intellectuelle du procureur n'a pas convaincu une majorité des jurés. Ils n'avaient plutôt pas de doute sur ce point, probablement grâce au bon sens paysan qui à l'inverse de la justice a évité l'irréparable. Au final, Olivier Talabardon n'a pas grand chose à dire sur l'affaire Seznec qu'il ne semble pas connaitre plus que l'homme de la rue.

Enfin, pour terminer, encore une affirmation gratuite de Michel Pierre : "Si Pierre Quéméneur, bien connu dans le Nord-Finistère, était arrivé le dimanche matin par le train pour se rendre à la scierie des Seznec à Morlaix, quelqu’un l’aurait forcément vu".  

Personne n'a été interrogé à Morlaix sur ce sujet donc il est difficile d'être aussi affirmatif. Pierre Quéméneur n'était pas un personnage de premier plan dans le nord-Finistère. Il était inconnu du grand public. On ne trouve sa photo dans aucun journal antérieur à sa disparition. Cette affirmation ne peut donc pas être prise au sérieux de la part d'un historien. C'est tout au plus une hypothèse de travail. Quel intérêt d'en faire mention ?

En conclusion, l'affaire Seznec n'est pas pleine de rebondissements comme l'affirme truistiquement Pierrick Baudais. C'est bien une affaire hors-norme de par sa complexité. Inutile de dire que Pierre Quéméneur et Guillaume Seznec n'en ont pas compris les tenants et aboutissants. La police et la justice sont passées à coté avec obstination dans l'erreur. La compréhension du noeud central de l'affaire implique de faire des recherches dans les archives Américaines et Russes, de comprendre et maîtriser dans le détail les relations entre Russes et Américains au début des années 20. L'affaire Seznec a démarré en 1919 à New York lors d'un épisode du "Red scare" où l'on retrouve Edgar Hoover à 24 ans, responsable au B.O.I. (Bureau Of Investigation) ancêtre du FBI. Sans un évènement finalement assez anodin, il n'y aurait probablement jamais eu d'affaire Seznec. Le faire comprendre demande du temps, on ne répare pas un siècle d'égarements aussi facilement.

Pour comprendre l'affaire Seznec en 2023, il y a trois livres indispensables à lire dans cet ordre

1 - Bernez Rouz; "L'affaire Quéméneur-Seznec"

2 - Denis Langlois; "Pour en finir avec l'affaire Seznec"

3 - Bertrand Vilain; "Affaire Seznec : Les archives du FBI ont parlé" Ouvrage mis à jour régulièrement depuis 2020

Pour aller plus loin, il y a d'autres livres récents comme :

Anne-Sophie Martin; "Affaire Seznec Le grand secret" avec de nombreuses précisions sur le retour de Pierre Quéméneur à Morlaix.

Denis Seznec; "Nous les Seznec" Denis voulait mettre à jour son livre

Guy Penaud; "L'énigme Seznec" ouvrage ancien mais intéressant

Michel Pierre; "L'impossible innocence" mais uniquement sur l'histoire de l'affaire Seznec en sachant que son point de vu est biaisé. Sur l'affaire elle-même ses écrits trop rapides ne méritaient pas d'être publié en l'état. Souhaitons qu'une nouvelle édition voit le jour avec des corrections.

et beaucoup d'autres plus anciens mais toujours intéressants




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