dimanche 14 mai 2023

Les admonestations sur l'affaire Seznec de l'historien Michel Pierre


Suite à ma critique argumentée de l'article de l'Ouest-France, Michel Pierre m'a adressé un courriel d'admonestations.

Entre autres, j'avais utilisé dans mon article un terme que Michel Pierre considérait comme insultant à l'égard de sa profession d'historien. J'ai admis que le terme en question était inapproprié. J'ai modifié la phrase et je me suis excusé auprès de lui mais uniquement sur ce point. Concernant le fond de l'article, Michel Pierre n'apportait aucun élément pouvant remettre en cause mon analyse. Il s'appuie essentiellement sur la vérité judiciaire sans chercher la vérité historique, c'est le reproche que je lui fais et je pense qu'il a été piqué au vif.

Au delà de la polémique, je me pose la question de la vérité judiciaire opposée à la vérité historique. La vérité judiciaire repose sur une décision de la cour d'Assises de Quimper en 1924. Cette décision n'était pas basée sur les preuves de la culpabilité de Seznec mais sur l'intime conviction des jurés. Cette intime conviction reposait sur un dossier douteux. Derrière le terme juridique, l'intime conviction est du domaine de l'opinion. Dans l'affaire Seznec, il n'y avait pas même un faisceau de présomptions indiquant qu'il avait tué. Par la suite une partie des jurés ont regretté publiquement leur choix. 

Bertrand Patenaude, historien à l'université de Stanford en Californie, rapporte page 587, de son monumental ouvrage "The Big show in Bololand" une négociation effectuée au nom de l'ARA (American Relief Administration) concernant un programme de colis alimentaires. Sans entrer dans le détail, les soviets étaient très réticents à la remise de colis en provenance d'Amérique, pays dont la propagande bolchévique en faisait un enfer capitaliste. Pour rappel, l'histoire des Cadillac vers la Russie des Soviets prend sa source avec l'ARA. Le négociateur américain Tom Burland est face à Alexander Eiduk, une brute tchékiste sanguinaire proche de Djerjinski. Nicolas Werth, en fait un court portrait dans "Le livre noir du Communisme". Selon Burland : "The Russian négociator required but little time to desillusion him...Mr Eiduck met the proposal as if it were a criminal on trial before him, and if he were a french court, which consideres the accused guilty until proven innocent."

En 1921, la justice française a une si mauvaise réputation auprès des alliés américains qu'elle est comparée à une négociation avec une brute sanguinaire qui considère l'accusé comme coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence.

Concernant l'affaire Seznec, il existe un grand écart entre la vérité judiciaire et la vérité historique. La justice ne reconnaît jamais ses erreurs comme le souligne à juste tire Denis le Her Seznec. Elle est restée à la vérité de 1924. On ne revient pas sur la chose jugée.

Il y a pourtant eu des demandes de révision. La dernière en date de 2006 est très critiquable sur plusieurs points. D'un autre côté, une cour de révision n'est pas une commission d'historiens ou de chercheurs. Elle juge par rapport aux éléments qu'on lui présente. Mais comme nous l'a indiqué Maître Jean-Yves Le Borgne lors d'un entretien, pour obtenir la révision, il faut prouver que Seznec n'a pas tué. Ce qui revient à une situation absurde, où, sur les 40 millions de français vivant en 1923, combien sont-ils ceux qui peuvent prouver qu'ils n'ont pas tué Pierre Quéméneur ? Le juge d'instruction Campion, le procureur Guillot, le président Dollin du Fresnel, le commissaire Vidal et le salaud de Bonny peuvent-ils prouver qu'ils n'ont pas tué ? Qui est légitime pour reprocher à Denis Le Her Seznec d'avoir tout essayé pour faire réhabiliter son grand-père ? "a french court, which consideres the accused guilty until proven innocent."

L'analyse historique consiste à s'appuyer sur des éléments les plus solides possibles. Bien entendu, l'historien ne dispose pas d'une machine à rembobiner le temps. Nous arrivons parfois sur des terrains moins stables. Le cas de Michel Pierre est assez inhabituel car il s'appuie sur la justice sans faire la moindre critique même lorsque la justice s'appuie sur du vide. L'article de l'Ouest-France est le deuxième article de presse en quelques jours où Michel Pierre répète les mêmes contre-vérités. Je connais un peu ce journal pour deviner leurs arrière-pensées. A une époque, ils me bombardaient d'appels téléphoniques que j'ignorais.

Alors, est-ce que l'affaire Seznec est une vieille histoire comme le pense l'ancien journaliste du Monde, Jean-Pierre Langellier ou me l'écrit le garde des sceaux, Eric Dupont-Moretti ?

Je dirais surement une vieille et triste histoire mais qui rejoint la grande Histoire comme symbole de l'erreur d'une justice française congelée dans ses certitudes comme un mamouth pris dans les glaces Sibériennes.

Bertrand Vilain 

 

 Alexander Eiduck, tchékiste, le regard méfiant, symbole de la justice française


Aucun commentaire: