mercredi 29 mars 2023

Qui s'est présenté deux fois au bureau de poste du 6 Boulevard Malesherbes le samedi 26 mai 1923 ?

6 boulevard Malesherbes Paris

 

Claudine Jourdan, passionnée de l'affaire Seznec, nous rappelle sur son blog, les conclusions de l'avocat Général Jean-Yves Launay en date du 24 janvier 2005 : 

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Les avocats de Denis Seznec ont fait état, dans leurs notes des 16 novembre 2001 et 23 novembre 2004, de témoignages, dont la cour d'assises a eu connaissance lors du jugement de Guillaume Seznec, de personnes ayant déclaré avoir vu Quémeneur après le 25 mai 1923, date de sa disparition.

Il est vrai qu'il ne s'agit pas là de faits nouveaux depuis la condamnation mais il n'est tout de même pas inutile de les rappeler et cela d'autant plus qu'ils ont été évoqués dans la décision de rejet de la commission de révision de 1996.

1 - M. Bègue, employé au bureau de poste du boulevard Malesherbes, à Paris, a, d'abord, indiqué que, le 26 mai 1923, un individu s'était présenté, par deux fois, à son bureau pour réclamer la lettre recommandée adressée à M. Quémeneur.

II s'agissait de la réponse au télégramme par lequel Quémeneur avait demandé, le 24 mai 1923, à son beau-frère, Me Pouliquen, notaire, de lui adresser, d'urgence et en poste restante, à Paris, un chèque barré de 60 000 F.

Me Pouliquen, dont le rôle, tout au long de l'instruction de l'affaire, a été pour le moins ambigu et troublant, comme nous le verrons, a, d'abord, affirmé que le chèque n'était pas barré et qu'il suffisait donc à Seznec de se procurer, d'une manière quelconque, les papiers d'identité de son beau-frère pour l'encaisser en ajoutant que c'était, d'ailleurs, ce que celui-ci avait tenté de faire, à deux reprises, dans la même journée, au bureau de poste.

Or, le chèque, qui figure au dossier, était barré.

Cela paraissait, d'ailleurs, évident dans la mesure où jamais un notaire n'aurait envoyé par la poste une telle somme par chèque non barré, ce qui aurait permis à n'importe qui de pouvoir l'encaisser en imitant la signature du tireur.

Cela n'a pas empêché, cependant, Me Pouliquen de déclarer qu'il avait cru envoyer un chèque non barré, dans sa lettre postée le 26 mai, soit deux jours après l'envoi du télégramme de son beau-frère.

De même, Me Pouliquen a-t-il écrit, de sa main, dans sa plainte à la police, le 13 juin 1923, que, d'après les renseignements qu'il avait recueillis à la poste, la lettre recommandée avait été réclamée dans la journée du 26 mai.

C'est seulement plus tard qu'il a dit s'être trompé et qu'il s'agissait, en réalité, du 2 juin.

Cette date du 26 mai résulte d'une pièce officielle du dossier que Denis Seznec indique avoir retrouvée dans un rapport établi, le 21 juin 1923, par le contrôleur général des services de recherches judiciaires, à l'intention du procureur de la République de Brest.

Ce rapport, qui figure au dossier, énonce qu'un individu s'est présenté, à deux reprises, le 26 mai, au bureau de poste, qu'il a présenté des papiers d'identité au nom de Pierre Quemeneur et qu'il a demandé s'il n'y avait pas une lettre recommandée à son nom, ce à quoi il lui avait été, très logiquement, répondu par la négative puisque le pli n'avait été expédié que le 26 mai.

C'est donc bien le 26 mai que la lettre recommandée a été réclamée et c'est, pourtant, la date du 2 juin qui a été privilégiée par les services de police.

Ce ne peut être, semble-t-il, que Quemeneur qui se soit présenté, le 26 mai, au bureau de poste ; Me Pouliquen savait, en effet, qu'ayant posté sa lettre à Pont-l'Abbé le 26 mai, elle ne pouvait se trouver, le même jour, en poste restante, à Paris ; ce n'était donc pas lui qui avait pu se présenter au bureau de poste pour retirer la lettre, à moins, alors, qu'il ne se soit présenté à la poste le 2 juin, date retenue par la police.

Ce ne pouvait non plus être Seznec dont il a été établi avec certitude, par de nombreux témoins, qu'il faisait alors route vers Morlaix.

Quant à la date du 2 juin, c'est, précisément, celle à laquelle Seznec se trouvait à Paris pour rendre visite à son avocat et c'est donc lui que l'on a accusé, tout naturellement, d'être l'individu s'étant présenté à la poste.

C'est dans ces conditions que M. Bègue, après avoir parlé de la visite de cet individu le 26 mai, a ensuite fait état du 2 juin et qu'après avoir dit qu'il ne reconnaissait pas Seznec comme étant son visiteur, il a indiqué qu'il ne pouvait être affirmatif et qu'il lui était impossible de dire si cet homme était venu réclamer le courrier de M. Quemeneur et qu'il ne pouvait répondre «  ni oui, ni non  ».

II est vrai que la déposition de M. Bègue a été enregistrée par l'inspecteur Bonny dont, nous le verrons, le rôle dans l'instruction de cette affaire a été déterminant pour accabler Seznec.

 

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J'étais à Paris l'autre jour pour remplir une formalité à l'ambassade des Etats-Unis et aussi pour rencontrer Denis Le Her Seznec et son avocat, Maître Jean-Yves Le Borgne. Ayant un peu de temps à perdre, j'en ai profité pour remonter la rue Boissy-Danglas jusqu'à l'emplacement de l'ancien bureau de poste au 6 Boulevard Malesherbes. C'était un petit bureau de poste, en opération de 1885 à 1931, idéalement situé au coeur de Paris, en face de l'agence de la Société Générale. Ce bureau est aussi au coeur de la communauté américaine du Paris des années 20.


6 boulevard Malesherbes Paris
6 Bd Malesherbes à Paris sur la droite vers 1960


emplacement bureau de poste 3 malesherbes
Emplacement de l'ancien bureau de poste Boulevard Malesherbes à Paris

Quatre personnes connaissaient l'existence de ce chèque, Pierre Quéméneur, le notaire Pouliquen, Guillaume Seznec et l'américain Charly/Turrou. Quant à ce dernier, il n'a probablement appris son existence que le matin même du samedi 26 mai 1923. 

Comme je l'indique dans mon livre, Affaire Seznec : Les archives du FBI ont parlé, Pierre Quéméneur était bien en vie le samedi 26 mai. Avec le peu d'éléments fiables dont nous disposons du fait que la police n'a procédé à aucune investigation, j'ai reconstitué cette journée.

C'est donc l'inspecteur stagiaire Bonny qui a enregistré la déposition de l'employé des postes Bègue. Ce point est crucial. La date originelle est le samedi 26 mai. Ce qui prouve que Seznec n'a pas pu tuer. Cette date est cohérente avec la  raison donnée. La lettre ne pouvait arriver ce jour-là, ayant été postée la veille. Suite à l'entrevue avec Bonny, la date devient le 2 juin. La raison donnée devient incohérente puisque le courrier était arrivé depuis plusieurs jours. Bonny aurait du donner une raison cohérente et prouvée. Par exemple, la lettre a été perdue puis retrouvée. Sans changer la raison, on ne peut que suspecter Bonny d'avoir influencé le témoin Bègue. Ce qui est constitutif du délit de subornation de témoin. La décapitation possible de Seznec se joue sur ce détail.

C'est probablement de cet élément dont parle l'inspecteur Bonny dans "Mon père l'inspecteur Bonny" de jacques Bonny :" Moi, qui avais participé à l'enquête, j'étais certain qu'il avait tué le conseiller général Quéméneur. Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai eu la certitude, pour ainsi dire formelle, que Seznec était innocent. Et pourtant, il est au bagne depuis plus de vingt ans et par ma faute, parce que je me suis trompé de bonne foi..."

Il existe un sérieux doute sur la falsification possible de la date du 26 mai par Bonny et Vidal pour accuser Guillaume Seznec. C'est la vérité historique, celle que l'on conservera. Ce n'est pas la vérité judiciaire car cet élément était connu de la justice lors du procès de 1924. Il était connu dans un contexte différent où personne ne comprenait réellement l'affaire Seznec. Avec un éclairage nouveau et l'implication aujourd'hui prouvée de Leon Turrou dans l'affaire des Cadillac vers la Russie des Soviets, n'est-ce pas un élément nouveau ? C'est possible mais comme le dit souvent Denis Le Her Seznec, la justice est incapable de reconnaitre ses erreurs.

 

boulevard malesherbes CPA

Boulevard Malesherbes Paris début XXe

 

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