mardi 11 avril 2023

L'affaire de Cadillac vue par l'historien Michel Pierre

Michel Pierre critique


Je ne cherche pas à prendre Michel Pierre, auteur de "L'impossible innocence" aux éditions Tallandier comme tête de turc, j'ai beaucoup de sympathie pour lui. Mais, il fait partie des rares voire de l'unique chercheur n'ayant aucun doute sur la culpabilité de Seznec. Il est historien, il connaît bien la Russie Soviétique et il a bénéficié du travail de ses prédécesseurs sauf bien sûr, de mon dernier livre. Il n'y a donc aucune raison d'être indulgent.

Ses écrits qui concernent l'affaire de Cadillac vers la Russie soviétique sont dans les pages 35-36 et 230-232 et 261 du livre.

Pages 35-36, il reprend l'acte d'accusation en admettant avec franchise que tout devient flou et que l'on s'y perd un peu. Il signale que Bollon, auteur d'une annonce pour l'achat de Cadillac n'a pas été contacté. Il se pose une question qu'il considère comme véritable : "comment les deux hommes ont-ils pu se convaincre l'un l'autre de ce juteux marché qu'il qualifie de farfelue ? Etait-ce une escroquerie ?

Ensuite, Michel parle du coup de téléphone de Seznec du 21 mai 1923 à 20:00 afin de discuter avec Pierre Quéméneur d'une affaire très intéressante. Puis, il y a la description du rendez-vous de pierre Quéméneur à sa banque le 22 mai pour un prêt de 100 000 F.

Michel Pierre se pose des questions légitimes mais il n'apporte aucune réponse. Il est historien et nous affirme que Seznec est coupable. Le minimum est de le démontrer historiquement. Mais sur ce sujet, il n'offre qu'incertitudes, hypothèses, hésitations. Bref, il n'en sait rien et pas plus que l'avocat général en 1924.

Je vais répondre aux questions de Michel Pierre.

Guillaume Seznec a appelé Pierre Quéméneur le 21 mai vers 20h00 (ou 20:30). Personne ne connaît la teneur de la conversation. D'où tient-il l'information qu'il y a eu une discussion au sujet d'une affaire intéressante ? C'est en contradiction avec le témoignage de Pouliquen qui parle d'une conversation brève. 

Je pense que cet appel en début de soirée, un jour férié, n'est pas un hasard mais qu'il est lié à l'arrivée du transatlantique Berengaria à Cherbourg avec à son bord 300 touristes Américains dont l'intermédiaire pour ce marché de Cadillac avec la Russie. La brièveté de la conversation indique que l'affaire est déjà sur les rails. Il ne s'agit donc plus de discuter d'une affaire.

Pierre Quéméneur avait logiquement pris rendez-vous avec sa banque dans les jours précédents. On ne se présente pas à l'improviste chez son banquier pour emprunter 100 000 F. Donc, le projet était acté, il ne restait plus que son financement. Je pense que la date du 22 mai n'est pas choisie au hasard mais elle correspond à l'arrivée prévue du Berengaria. Mais ce dernier a bénéficié de conditions météos favorables et il est arrivé avec 1 jour d'avance, le 21 mai. Ce que personne ne pouvait prévoir. Cela explique la raison de l'appel téléphonique de Seznec.

Bollon est un professionnel de l'automobile. Il a passé des annonces en 1922 pour l'achat de Cadillac mais n'a pas été contacté ni par Quéméneur, ni par Seznec. Il faut en déduire que l'annonce Bollon n'est donc pas l'annonce de journaux dont parle Pierre Quéméneur. Il doit y en avoir une autre. Michel Pierre a-t-il cherché une autre annonce du côté du journal L'Auto par exemple ?

Comment les hommes ont-ils réussi à se convaincre mutuellement ? Si l'Américain Charly/Turrou est arrivé des Etats-Unis pour cette affaire de Cadillac vers la Russie, nous devons admettre que c'est plutôt lui qui a convaincu Pierre Quéméneur. Seznec n'a rien à voir là-dedans.

Est-ce une escroquerie ? c'est possible

Pages 230-232, parlant de l'affaire de Cadillac, Michel Pierre écrit :" Comment cette légende a-t-elle pu perdurer ? Depuis le procès de 1924, les archives se sont ouvertes, les chercheurs ont travaillé et rien, strictement rien, ne vient corroborer cette absurdité".

Michel Pierre n'indique pas quelles archives se sont ouvertes. Qui sont ces chercheurs ? je vais préciser pour lui. Il parle des archives et des chercheurs français. En effet, il n'y a pas grand-chose à part les travaux de Nicolas Werth sur la Russie Soviétique. Il ne parle pas des archives et chercheurs étrangers, du fonds Hoover, du FBI et peut-être un jour du MVD et FSB...

Ensuite, il rappelle quelques généralités, sur Lénine, la Nep. Nous avons tous appris cela à l'école. Il pose la question : "Pourquoi donc acheter en France en général et en Bretagne en particulier des véhicules d'occasion vieux de plusieurs années ?"

C'est une bonne question, pour y répondre, il faut comprendre l'environnement de la Russie Soviétique vers 1923. Il faut lire les archives gouvernementales Russes (elles sont toutes disponibles en ligne mais en Russe, forcément), des ouvrages d'histoire de la Russie toujours en russe (c'est une mine d'information),  les archives de l'ARA, le livre de Bertrand Patenaude, les archives du FBI, là c'est plutôt en anglais... Ensuite, on commence à comprendre. La Russie de cette époque qui était un nuage nébuleux pour beaucoup, s'éclaircit.

Enfin, Michel Pierre rappelle l'histoire du vaste trafic de Cadillac avec le salaud de Bonny. Il réfute son existence mais il ne va pas plus loin. Au départ en 1923, Pierre Quéméneur n'a jamais parlé de tout cela. Il faut revenir aux sources mais Michel n'a probablement pas le temps.

Page 261, Michel Pierre évoque la demande de révision et la fameuse photo de la Cadillac de Dzerjinski. Il indique que : "ce dernier a sans doute bénéficié d'un véhicule neuf et non d'occasion potentiellement issu d'un stock armoricain..La meilleure preuve est que cette Cadillac a le volant à droite...acheté tout à fait légalement en Grande-Bretagne...

Il reprend des éléments de notre précédent ouvrage qui maintenant date un peu. Dans mon dernier livre, j'ai démontré l'origine de cette Cadillac. Elle est bien d'occasion. Elle n'a pas été achetée neuve par le gouvernement Soviétique. Elle provient d'un lot. J'ai retrouvé tout son historique ainsi que son propriétaire précédent...

Encore Michel Pierre : "La cour d'assises de 1924, au coeur pourtant d'une période d'un anticommunisme virulent, n'y avait pas cru mais il s'avérait possible, huit décennies plus tard, par manque de connaissances historiques ou de simple réflexion de redonner crédit à une fable absurde."

La France en 1924 n'avait pas de représentation diplomatique en Russie, ni aucun espion. Les seules informations provenaient de gouvernements alliés qui partageaient ce qu'ils voulaient, de la presse souvent étrangère et de la surveillance de membres du parti communiste comme André Morizet qui avait été à Moscou en 1922. Pour les gens de l'époque, la Russie était obscure. Personne n'avait la moindre idée que l'OGPU voulait se procurer des Cadillac. Lors du procès de 1924, les gens ont raisonné par rapport à leurs croyances et clichés et non la réalité. Michel Pierre fait de même en 2019 en ajoutant une forte dose d'inversion accusatoire. Pourtant, cette fable absurde a bien existé.
 

La thèse de Michel Pierre part du principe que Seznec est coupable et que les demandes de révision sont basées sur des fables. La démonstration est faite qu'il se trompe. L'innocence de Seznec ne fait plus aucun doute historiquement (je vous renvoie à mon livre) mais comment la prouver juridiquement ? Bien sûr qu'il y a eu de nombreuses maladresses dans ces demandes de réhabilitation. Dans l'histoire de l'affaire, des faits que l'on croyait certain n'étaient pas établis. Est-ce que l'on peut en vouloir à la famille Seznec ? Par contre, nous pouvons en vouloir à Michel Pierre de continuer à propager en 2019 des faits erronés, non établis et des clichés. Ce n'est pas sérieux et ce n'est pas ce que l'on attend d'un historien. Il ne faut pas mélanger les opinions et rancunes qui sont sans intérêt d'un travail rigoureux et scientifique. C'est ce que j'ai appris dans ma vie d'entrepreneur et d'écrivain. Je préfère le travail du français Nicolas Werth ou de l'américain Bertrand Patenaude.


J'ai eu un échange décevant par mail avec Michel Pierre. Il n'argumente pas en étayant ses propos. Il n'a pas une démarche scientifique bien qu'il indique être historien de métier. Ses affirmations sont souvent péremptoires et elles ne dépassent pas le stade de la croyance et de l'opinion de l'internaute moyen.Par exemple, Michel Pierre affirme que ce trafic de Cadillac est une absurdité. Il s'appuie sur les affirmations de la justice de 1924. La justice s'appuie sur la police qui n'a fait aucune recherche pour en retrouver la trace et vérifier les éléments du dossier. Ce fait est prouvé par le rapport Bonny. J'ai demandé à Michel Pierre de me fournir sa démonstration sur ce point mais il a été incapable d'apporter le moindre élément si ce n'est de s'appuyer sur la justice.

 



 

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