jeudi 1 juin 2023

Il y a 100 ans, démarrait l'affaire Seznec...un siècle d'égarements

 

En effet, 100 ans de doutes, d'erreurs et de certitudes. Mais où en est-on aujourd'hui ?

Le lundi 21 mai 1923 à 16h00, arrivait à Cherbourg, avec un jour d'avance, le transatlantique Berengaria de la Cunard en provenance de New York. 300 touristes essentiellement Américains débarquaient. Puis, le bateau continuait sa route vers Southampton.

Le même jour vers 20h30, Guillaume Seznec passait un coup de téléphone à Pierre Quéméneur. Les deux hommes devaient se rencontrer le lendemain à Brest. Quéméneur avait pris rendez-vous avec son banquier pour le mardi 22 mai en vue d'obtenir une avance de trésorerie de 100 000 F. Il s'agissait de financer le projet d'une affaire d'exportation de Cadillac de seconde main vers la Russie soviétique. Il avait un autre rendez-vous important le samedi 26 mai, dans une brasserie de l'Avenue du Maine à Paris avec un américain qui était intermédiaire dans cette affaire.

Il est à noter que le 21 mai était un jour férié, le lundi de Pentecôte. Le rendez-vous avec la banque avait donc été pris la semaine précédente. Le 22 mai correspondait au jour prévu d'arrivée du Berengaria à Cherbourg. Suite à une mer favorable, le Berengaria avait accosté avec un jour d'avance. Y-avait-il à bord de ce transatlantique, cet Américain en lien avec l'affaire seznec ?

Ensuite, les faits se sont enchaînés à partir de la disparition mystérieuse de Pierre Quéméneur. Pour aller plus loin, il existe plusieurs ouvrages comme celui de Denis Langlois, Bernez Rouz ou Denis Le Her Seznec. Il est aussi possible de visionner le film d'Yves Boisset avec Christophe Malavoy.

Guillaume Seznec a été condamné au bagne à perpétuité. La décision de justice s'est basée sur une construction intellectuelle hasardeuse en considérant que Guillaume Seznec était coupable de meurtre a priori car il aurait fabriqué un faux document. La police et la justice ont remonté l'arbre des causes en émettant une chaîne d'hypothèses invraisemblables et invérifiables. Seznec a échappé à la décapitation réclamée par la justice. Le jury populaire de 1924 n'a pas suivi l'avocat général et a écarté la préméditation grâce au bon sens paysan d'une majorité d'entre-eux.

Guillaume Seznec a toujours clamé son innocence. Sa femme Marie-Jeanne, sa fille, Jeanne et son petit-fils, Denis se sont battus pour obtenir la réhabilitation mais en vain. L'institution de la justice a toujours refusé de reconnaître son erreur considérant qu'elle n'avait aucun doute sur la culpabilité. De ce fait, cette affaire est devenue le symbole de l'erreur judiciaire à la française.

En 2015, Denis Langlois, ancien avocat de Jeanne et de Denis Le Her Seznec a publié un livre, "Pour en finir avec l'affaire Seznec" dans lequel il indique avoir recueilli le témoignage du fils de Guillaume Seznec, appelé Petit-guillaume. Ce dernier, enfant, a vu Pierre Quéméneur décédé dans la salle à manger de la maison des Seznec à Morlaix. Il a pensé à l'âge adulte que sa mère avait été agressée et qu'elle s'était défendue. Pierre Quéméneur serait donc mort accidentellement.

En 2018, après avoir obtenu l'autorisation de la propriétaire de l'ancienne maison Seznec, j'ai coordonné des fouilles privées avec une équipe de bénévoles et la participation de Denis Langlois. Elles n'ont pas permis de trouver de pièces à conviction confirmant le témoignage de petit-guillaume.

A la suite de l'emballement médiatique provoqué par ces fouilles, les enfants de petit-guillaume ont décidé de parler. Ils ont confirmé et précisé le témoignage de leur père devant les caméras d'Anne-Sophie Martin, journaliste et réalisatrice pour France2. Anne-Sophie avait suivi la totalité des fouilles à Morlaix. Le documentaire a été diffusé dans l'émission de Laurent Delahousse 13h15.

De son coté, Denis Le Her Seznec a déclaré qu'il ne croyait pas à la version de son oncle, petit-guillaume.

En 2019, après la sortie du documentaire et d'un livre d'Anne-Sophie Martin, le diplomate et historien du bagne, Michel Pierre a écrit un ouvrage sur l'histoire de l'affaire Seznec, "l'impossible innocence". Cet ouvrage est intéressant car il cherche à expliquer pourquoi l'affaire Seznec est devenue emblématique de l'erreur judiciaire puisque lui-même postule la culpabilité de Seznec. Toutefois, il apporte une critique facile puisque à postériori, sur le bien-fondé des diverses demandes de révision. Il se base un peu sur le principe du "je le savais bien". Il maintient la culpabilité de Seznec en s'appuyant uniquement sur une vérité judiciaire sans en apporter la moindre preuve historique. C'est pourtant la mission première de l'historien qui ne peut se satisfaire d'une version institutionnelle. Il émet régulièrement des poncifs comme la police et la justice ont bien fait leur travail car elles ont multiplié les actes de procédure.  

Concernant la Russie soviétique et cette affaire de Cadillac, Michel Pierre commet une erreur que j'avais moi-même commise. En plus, il me cite comme source dans son livre. Mon erreur avait été de ne pas approfondir la recherche de la vérité historique en cherchant uniquement à réfuter les arguments de la précédente demande en révision de 2006. Une thèse complotiste s'était développée sur un prétendu trafic de Cadillac impliquant les plus hautes autorités de l'Etat avec la main noire du policier Bonny. La réfutation de cette thèse ne devait pas occulter qu'un fond de vérité était toujours possible.

J'ai fait une critique de l'ouvrage de Michel Pierre concernant cette affaire de Cadillac ou je démontre qu'il n'a fait aucune recherche sérieuse.

En 2020, suite à la lecture du livre de Michel Pierre, j'ai décidé d'écrire un nouveau livre sur l'état de mes recherches. Je démontrais qu'il y avait bien eu une affaire (et non un vaste trafic) de Cadillac vers la Russie soviétique impliquant uniquement Pierre Quéméneur. J'avais aussi réussi l'exploit de donner un nom au mystérieux intermédiaire Américain que l'on ne connaissait que sous le pseudo de Charly ou Sherdly. Le livre "Affaire Seznec : les archives du FBI ont parlé" était à la base une investigation historico-policière. En tirant sur un fil, c'est la totalité de la pelote qui était venue. Bien sûr, cela s'était fait par étapes, en trouvant de nouvelles archives inexploitées. Cela m'a obligé à écrire plusieurs versions successives. A la base, je suis entrepreneur ayant créé une entreprise d'export que j'appelle brocante à l'international. L'essentiel de mon activité consiste à expédier des conteneurs d'antiquités ou autres marchandises à destination de professionnels américains. L'écriture n'est pas mon métier même si je m'en sors plutôt pas trop mal, souvent mieux que certains professionnels. C'est une activité prise sur mon temps libre. L'écriture d'un livre est un exercice difficile qui n'est pas à la portée du premier venu. En tant que chef d'entreprise, j'ai l'habitude de monter des projets, trouver les financements et des partenaires, régler les problèmes et surtout aller jusqu'au bout.

Suite à la publication de ce livre, Thierry Sutter et Denis Le Her Seznec m'ont contacté. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises. Denis souhaitait faire une nouvelle demande de révision en utilisant les révélations contenues dans le livre. Je lui ai communiqué un gros classeur avec toutes mes sources. Il faut rappeler à nouveau que mon livre est une investigation historico-policière et il n'a pas été écrit spécialement dans le but de la réhabilitation. J'ai donc réalisé des ajouts à mon texte d'origine en ce sens. J'ai identifié 5 fautes graves dans l'enquête dans mon domaine de recherche. Ces fautes sont inacceptables et impardonnables. Elles laissent à penser que le commissaire Vidal de la Sûreté Générale était à la police, ce que le Général Gamelin était à l'armée, c'est à dire un désastre. Pierre Desproges précise "Tout le monde savait que Gamelin était un con sauf les militaires". Il y a aussi 26 éléments de preuves permettant d'identifier l'américain Charly et l'affaire de Cadillac. A cela s'ajoutent les deux preuves et demi que Guillaume Seznec n'a pas pu tuer. J'explique les raisons pour lesquelles personne n'a cru à cette affaire de Cadillac.

Comme je l'ai déjà relaté précédemment sur ce blog, j'ai accompagné Denis Le Her Seznec chez son avocat, Maître Jean-Yves Le Borgne. Il a pris la demande de Denis très au sérieux et il avait en main un exemplaire de mon livre qu'il a lu et annoté. Selon l'avocat et en utilisant ses propres termes, pour obtenir la réhabilitation, il faut prouver que Seznec n'a pas tué. La découverte du Colonel Turrou et du trafic de Cadillac ne permettent pas de prouver cela. C'est le paradoxe juridique, bien que la justice ait été incapable de prouver la culpabilité, pour être réhabilité, il faut prouver son innocence. Finalement, la modification de la loi n'a, en pratique, rien changé. En France, on ne revient pas sur la chose jugée ou alors exceptionnellement aux prix d'efforts surhumains. Le seul garde-fou contre une justice aveugle a été le développement de la police scientifique.

Autrement dit, pour qu'une demande de révision puisse aboutir et qu'elle ne soit pas celle de trop, il faudrait prendre en compte, comme je l'ai fait dans mon livre, le témoignage de petit-guillaume même si celui-ci reste fragile. Ce dernier ne devient compréhensible qu'avec mes recherches. Denis Seznec m'a dit à plusieurs reprises qu'il n'y croyait pas, pas plus qu'aux fouilles à Morlaix en 2018. A mon avis, il n'y aura donc pas de nouvelle demande.

D'un point de vue historique, l'innocence de Guillaume Seznec est prouvée. C'est ce que l'histoire retiendra de cette affaire. Quant à moi, je continue de loin en loin mes recherches. Les archives Russes sont prometteuses mais difficilement accessibles en ce qui concerne le ministère des affaires intérieures et de la Sécurité. Je suis sur la trace d'un Russe "indésirable" agent de l'OGPU suspecté de vols et autres malversations qui aurait manigancé cette affaire de Cadillac avec le Colonel Turrou, ancien du FBI.

A suivre, peut-être...

 

Bertrand Vilain Affaire Seznec : Les archives du FBI ont parlé



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