dimanche 29 septembre 2024

Le décorticage minutieux de la thèse de Michel Pierre

Etant donné que Michel Pierre avec l'aide d'un documentaire sur l'affaire Seznec a remis une pièce dans le bastringue médiatique, nous voilà repartis pour un nouveau tour de piste.

 

Michel Pierre

En préambule, je souligne, être en complet désaccord avec la thèse très contestable de Michel Pierre. Bien entendu, je respecte la personne. Nous nous sommes rencontrés qu'une seule fois mais nous avions échangé des centaines de courriels par le passé qui se sont rarifiés dernièrement. Un vent glacial provenant des goulags sibériens de l'OGPU a jeté un coup de froid. Par contre, Denis Le Her-Seznec et Michel Pierre se connaissent depuis longtemps. Il existe, semble-t-il, un contentieux ancien entre les deux.

Le documentaire "Seznec, la fabrique de l'affaire du siècle" est au catalogue de la société de production Aligal disponible sous forme de DVD pour 15 €. Le réalisateur Pierre-François Lebrun ne travaille pas directement pour France 3 comme le laissait entendre le communiqué des archives du Finistère. Aligal et France 3 sont deux entités distinctes. Le documentaire devrait être diffusé le 24 ocobre sur France 3 à 22h50, horaire généralement réservé à la rediffusion de nanars. Pierre-François Lebrun n'est pas journaliste mais intermittent du spectacle et comme on pouvait s'y attendre, il est militant actif et élu du Nouveau Front Populaire. Il existe de fortes suspicions de sectarisme dans ce milieu. L'affaire Seznec vue par le prisme populiste de Mélenchon est sûrement très amusante mais historiquement improbable. Sans faire de procès d'intention, pour certains, l'idéologie est plus importante que les faits. Bien entendu, tous les militants politiques ne sont pas nécessairement malhonnêtes sauf quand ils adoptent des positions extrêmes en dehors du contrat social. 

Selon le communiqué de France 3 :" Ce film se penche non pas sur l’affaire Seznec en elle-même, mais sur l’histoire de l’affaire, sur sa longévité médiatique et juridique. Il raconte grâce à l’analyse des historiens, aux récits des acteurs et aux documents d'archives, comment le "fait-divers" s'est transformé en "affaire du siècle" et montre le difficile compagnonnage entre une justice attachée aux faits et une presse avide de coups de théâtre et d'émotions. Une approche inédite, sans fard mais apaisée, de l’affaire la plus longue de l'histoire judiciaire française. "

Comme si l'affaire Seznec et les demandes multiples de révision pouvaient être dissociées. Le documentaire est basé sur le livre de Michel Pierre,"L'impossible innocence" et il reprend les mêmes postulats. La justice est attachée aux faits sauf que dans l'affaire Seznec, il n'existe aucun fait prouvant que Seznec a tué Quéméneur. Depuis 100 ans, personne n'a été capable de démontrer que Seznec est un meurtrier. Les découvertes récentes prouvent même le contraire. Les intervenants, Michel Pierre, Olivier Talabardon, Annick Le Douget, Bruno Cotte sont tous sur la même ligne, à charge.  Aucun membre de la famille Seznec n'est autorisé à donner son point de vue. Denis Le Her Seznec n'a pas été invité à s'exprimer. Les défenseurs du doute et de l'innocence ont été interdits de parole.

J'ai écrit sur ce blog plusieurs articles critiques sur le livre de Michel Pierre "Affaire Seznec : L'impossible innocence". Ils ont été rédigés au fil de l'eau et ils peuvent paraître un peu décousus. J'ai donc écrit une synthèse plus construite sur les reproches que l'on peut faire au  livre ainsi qu'aux fondamentaux qui selon moi relèvent du sophisme. La thèse de Michel Pierre est basée sur les affirmations suivantes, page 11, la première prémisse est que "Le dossier est accablant car il est impossible d'imaginer une affaire d'Etat ayant nécessité d'envoyer Guillaume Seznec au bagne". La seconde prémisse est que "la longévité de cette affaire est due à une folie médiatique". La conclusion en page 300 est que "Dans la mesure où, depuis près d'un siècle, rien n'est venu contredire le verdict, il faut en revenir à la seule certitude qui vaille : celle de la culpabilité."

1ere prémisse : Michel Pierre introduit une relation certaine entre le dossier accablant pour Seznec et l'impossibilité d'une affaire d'Etat. Ce qui revient à alléguer que Seznec est coupable car il n'existe pas d'affaire d'Etat. Pour que cette affirmation soit exacte, la condition indispensable est qu'il n'y ait qu'un seul cas de figure. C'est tout ou rien. Par exemple, est-il possible que le dossier soit moins accablant, si Pierre Quéméneur est mort à Morlaix alors que Seznec était sur le chemin du retour sans qu'il y ait une affaire d'Etat ? Une affaire de Cadillac vers la Russie des Soviets est-elle envisageable sans qu'il y ait pour autant une affaire d'Etat au moins du côté français ?

Ce qui semblait impossible n'est en réalité qu'une hypothèse qui peut être vraie ou fausse. Faut-il encore le démontrer. Ce que ne fait pas Michel Pierre.

2eme prémisse : D'une hypothèse non vérifiée, Michel Pierre déduit que la longévité de l'affaire est due à une folie médiatique. Si la première prémisse est fausse, ce qui est fort probable, alors la seconde qui s'appuie sur la première est tout aussi fausse et la longévité de cette affaire peut être le résultat d'autres facteurs comme par exemple qu'un innocent ait été condamné au bagne injustement, est-ce pour autant une folie médiatique ?  

L'objet du livre de Michel Pierre est une tentative d'expliquer l'histoire de l'affaire Seznec sous cet angle mais qui ne repose que sur des postulats fallacieux.

3eme prémisse : "Rien n'est venu contredire le verdict". Cette affirmation est peut-être vraie ou fausse. Cela implique d'éliminer le témoignage de petit-guillaume. Michel Pierre fait une tentative en parlant de résilience. Je ne suis pas plus psychologue que lui. En quoi, cela prouverait-il que le témoignage est faux ? Il expliquerait les témoignages de survie. Il n'entre pas en contradiction avec des éléments du dossier même s'il n'est pas confirmé par des indices matériels. C'était l'objet des fouilles à Morlaix en 2018. Mais comment objectivement retrouver ces indices après 100 ans. Il aurait certainement fallu s'en occuper pendant l'enquête en 1923. L'argument de Michel Pierre n'est pas convainquant car il n'a pas de compétence en psychologie ou psychiatrie, il n'a pas diagnostiqué "le patient" qu'il n'a jamais rencontré et son affirmation n'est pas étayée. Il émet uniquement une hypothèse, une de plus.

Deuxième mauvaise nouvelle, après la parution du livre de Michel Pierre, bertrand Vilain publie le résultat de ses recherches entre 2020-2023 dans un livre "Affaire Seznec : les archives du FBI ont parlé".  Ce dernier remet en cause le verdict. Tous les éléments du dossier d'instruction concernant l'affaire de Cadillac sont bien exacts et ils ne relèvent plus de l'imaginaire de Seznec comme l'affirmait le procureur Guillot lors du procès. En plus, en mettant un nom sur l'américain Chardy, il est confirmé que Pierre Quéméneur avait rendez-vous le 26 mai 1923, donc le lendemain de sa mort, avec cette personne. Cela change la donne sur la personne qui se serait présentée le 26 mai au bureau de poste du Boulevard Malesherbes. Outre les témoins de survie, Seznec ne serait plus le dernier à avoir vu vivant Quémeneur. C'est un sacré coup de tonnerre. L'affirmation que rien n'est venu contredire le verdict vole en éclat.

Michel Pierre n'avait pas réussi à remettre en cause le témoignage de petit-guillaume et maintenant il se retrouve face à un mur dont il ne voit pas le sommet et qu'il doit pourtant franchir pour sauver ce qu'il reste de sa malheureuse thèse. Cette dernière basée sur une chaine d' hypothèses hasardeuses n'est confirmée par aucun élément probant.

Enfin que penser de la conclusion de Michel Pierre : la seule certitude qui vaille est celle de la culpabilité mais ne se transforme-t-elle pas en la seule certitude qui vaille est celle a minima du doute ou de l'innocence ?

L'hypothèse d'un vaste trafic de Cadillac ayant conduit à une affaire d'Etat est une construction tardive alors que les premiers éléments de l'enquête donnaient de nombreux détails sur l'affaire de Cadillac qui n'allaient pas dans ce sens. Ces éléments n'ont malheureusement jamais été exploités à l'époque.

Michel Pierre se lance lui aussi sur les traces de l'affaire des Cadillac avec la Russie des Soviets, page 109 : "Nul n'a cru non plus à l'hypothèse d'un possible "trafic" de Cadillac avec l'URSS et personne n'a relayé une telle possibilité qui, si elle avait existé, n'aurait échappé ni à la presse, ni aux enquêteurs". La France n'a pas de représentation diplomatique en Russie et n'a aucun réseau d'information. Il faut expliquer comment la presse aurait pu s'informer ? Quelles recherches ont été effectivement entreprises ? De plus, il est prouvé aujourd'hui que la Sûreté Générale n'a fait aucune enquête en 1923.

Page 110, Michel Pierre insiste "Comment peut-on imaginer qu'une quelconque autorité de Moscou se soit lancée dans des achats plus ou moins clandestins sur le sol français de véhicules issus des stocks américains alors qu'il était possible de les acheter neufs à Londres" . Connait-il donc suffisamment tous les rouages du régime des soviets pour faire ce genre d'affirmation ?

Comme notre historien ne trouve rien et donc il conclut un peu doctement page 230 : "Comment cette légende a-t-elle pu perdurer ? Depuis le procès de 1924, les archives se sont ouvertes, les chercheurs ont travaillé et rien, strictement rien, ne vient corroborer cette absurdité."

Les affirmations de Michel Pierre, là encore, ne reposent que sur son imagination mais aucunement sur la réalité de la situation en 1923.

Pourtant, il y a bien eu une affaire de Cadillac qui correspond dans les moindres détails aux informations contenues dans le dossier d'instruction. Tous les détails et toutes les preuves sont dans mon livre. C'est un gros plantage pour Michel Pierre. J'ai bien essayé d'échanger avec lui sur ce sujet mais il est resté comme tétanisé. Il m'a écrit "je ne crois pas à ce scénario". C'est une réaction normale quand on reçoit un choc. Mais il est un intellectuel, une fois passée la commotion, il faut analyser froidement la situation pour faire valoir ses arguments logiques, scientifiques. Il n'a pas été capable de fournir le moindre argument. Est-ce de la résilience ? Est-il dans le déni ?

J'ai écrit plusieurs articles sur ce blog dont notamment :

https://www.affaire-seznec.com/2023/04/laffaire-de-cadillac-vue-par-michel.html 

Finalement, la thèse de l'historien Michel Pierre n'est qu'une chaîne classique d'affirmations non étayées, sans preuve qui relève du sophisme et qui n'est qu'une tentative de manipulation.

Seznec a été condamné par la justice sans preuve. Pour obtenir la réhabilitation, selon les termes de l'avocat JY Le Borgne, il faut prouver que Seznec n'a pas tué. Ce qui revient donc à prouver son innocence. La famille Seznec a tenté l'impossible avec l'énergie du désespoir pour obtenir la réhabilitation.  L'affaire est partie dans toutes les directions dont bien sûr vers de nombreuses fausses pistes puisque personne ne comprenait ce qu'il s'était vraiment passé jusqu'à une date récente. Faire la liste des fausses pistes pour démontrer que Seznec est coupable n'est pas sérieux. Il faut prendre la seule piste prouvée qui conduit à l'innocence. Elle existe.

Sur les erreurs factuelles de Michel Pierre

Pour avoir écrit deux ouvrages en dehors de mes activités professionnelles, je sais que l'écriture d'un livre est un exercice difficile. Il faut faire des recherches importantes, vérifier ses sources... Quand on a des délais à tenir, il est tentant de procéder à des raccourcis cognitifs et de penser que sa mémoire est infaillible. 

Les lecteurs du livre de Michel Pierre, "L'impossible innocence" ont été surpris de trouver un nombre important d'erreurs factuelles au-delà de ce qui est acceptable. Elles sont trop nombreuses pour un livre publié chez un éditeur comme Tallandier. Je ne vais pas faire toute la liste qui serait fastidieuse mais donner quelques exemples. 

page 29 : "A la déclaration de guerre, Guillaume Seznec est mobilisé dans les services auxiliaires". Ce n'est pas exact, Seznec est mobilisé au 87e Régiment d'Infanterie Territoriale qui partira pour le front. Seznec sera affecté à Ouessant en mai 1916 pour raisons disciplinaires.

Page 29 : en 1917, Seznec obtient le marché du linge du Camp Hospital 33 à Pontanézen. Cette information non vérifiée est peu probable. Les hôpitaux Américains disposent de leur propre blanchisserie et pour des raisons d'hygiène, ils ne sous-traitent pas.

page 29 : "Il poursuit ses activités de blanchisserie dans des batiments réquisitionnés...au lieu-dit Traon-ar-Velin". Seznec a bien acheté les bâtiments le 2 février 1918 dans des conditions suspectes mais je n'ai pas d'information indiquant que les bâtiments auraient été réquisitionnés, par qui ? et pourquoi ?

page 33 : "au printemps 1923, les deux hommes envisagent un nouveau projet..." Nous avons des preuves que Pierre Quéméneur se met en chasse de trouver des Cadillac à partir du 9 mars 1923. Nous ne disposons pas d'éléments concernant Seznec à cette même date.

page 34 : Annonce Bollon : "C'est sans doute Guillaume qui voit le premier tout l'intérêt de l'annonce". Cette affirmation ne repose sur aucun élément et relève de l'extrapolation.

page 35 : Annonce Bollon : "C'est à partir de ce moment que tout devient flou et que l'on s'y perd un peu. Aucun des deux hommes ne contacte Bollon...Ils semblent suivre une autre piste". Pierre Quéméneur indique qu'il a vu cette affaire de Cadillac dans un journal. Je penche plutôt pour l'annonce O.I.R. qui correspond exactement avec les informations du dossier d'instruction.

Page 37 : "Vers 20h00, le téléphone sonne. C'est Guillaume Seznec qui annonce sa venue pour le lendemain afin de discuter d'une affaire intéressante." . Nous connaissons l'existence de ce coup de fil par un témoin, le notaire Pouliquen qui rapporte dans sa primo-enquête un appel bref avec un échange de quelques mots, rien de plus.

Je vais m'arrêter là. Je ne veux pas accabler ce pauvre Michel qui se trouve bien seul à défendre une (hypo) thèse bancale et qui se veut le récit et l’analyse documentée de la transformation durant un siècle d’un simple fait divers en un phénomène médiatique national. Il faut rester sérieux, si c'était un simple fait divers, comment expliquer, par exemple, que Pierre Quéméneur soit parfaitement au courant du prix d'une cadillac comme celle issue des stocks et achetée par le service des transports Soviétiques Gosudarstveni de Samara en 1923 ?

Je remercie quand même Michel Pierre et le réalisateur de spectacles Pierre-François Lebrun pour la publicité qu'ils me feront sans aucun doute quand le film sera diffusé. Les gens intéressés feront des recherches pour vérifier les dires des uns et des autres. Pour avoir participé à plusieurs documentaires sur l'affaire Seznec réellement diffusés sur France 2, France 3, Planète+,... sans compter des centaines d'articles de presse et de radio, j'admets que c'est un boost momentané qui permet de vendre des livres mais une fois le soufflé médiatique retombé, il n'en reste rien ou si peu. Les paroles s'envolent et les écrits restent. Ce que l'histoire retiendra de l'affaire Seznec, ce n'est pas la thèse de michel Pierre qui rejoindra celle du juge Hervé ou de Claude Bal mais les faits avérés, prouvés, intangibles, éternels. J'espère me rapprocher de ces faits-là plutôt que de finir ma carrière d'auteur amateur, pour l'éternité, à côté de michel sur l'étagère poussièreuse d'une recyclerie.

Message personnel à Michel Pierre :

Michel, je sais que tu lis mon blog car tu me fais parvenir des courriels où tu masques ton courroux par des remarques ironiques et sarcastiques. Ne crois-tu pas qu'il serait temps de sortir de ton entêtement absurde en ouvrant un peu les yeux ? Tu t'es planté, ça arrive à tout le monde même Einstein que tu cites au sujet de l'obstination dans l'erreur s'est gouré en introduisant la constante cosmologique. Il faut que tu saches que ton livre a été un déclic car il m'a obligé à entreprendre des recherches supplémentaires alors que j'avais vraiment autre chose à faire au Texas.  Cela m'a permis de résoudre en grande partie l'affaire Seznec. Sans ton livre, je n'aurais probablement jamais découvert qui était l'Américain Chardy. Quand j'ai rencontré Denis Le Her-Seznec pour la première fois en février 2022 sur mon voilier à la Trinité/Mer, devant la multitude de preuves accumulées dans mon classeur noir, il a bien été forcé d'admettre que l'affaire d'Etat ne tenait pas la route. La vérité était ailleurs. Cela a été difficile pour lui aussi. La vérité finit toujours par triompher, c'est uniquement une question de temps. Je sais que c'est difficile pour toi aussi de te remettre en question. Ne reste pas figé dans tes certitudes anciennes et dépassées, reprends-toi. Tu vaux beaucoup mieux que ça. Si tu le souhaites, je suis prêt à débattre avec toi. Tu auras accès à la totalité des preuves rassemblées dans mon classeur noir.

 

Denis Le Her-Seznec à la barre et Bertrand Vilain



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